Les différents fils d'Ève (Die ungleichen Kinder Evas) - Conte de Wilhelm et Jacob Grimm wiki

Quan Adam et Eve eurent été chassés du paradis, ils durent se construire une demeure sur la terre inféconde, et gagner leur pain à la sueur de leur front. Adam se mit à bêcher la terre et Eve à filer de la laine. Tous les ans Eve mettait au monde un enfant, mais ces enfants différaient entre eux; les uns étaient beaux, les autres laids.

Lorsqu'un certain temps se fut ainsi écoulé, Dieu leur envoya un ange pour leur dire qu'il viendrait bientôt les visiter. Ève, toute joyeuse de l'honneur que le Seigneur daignait leur faire, nettoya sa maison avec le plus grand soin, l'orna de fleurs et garnit le solde joncs. Cela fait, elle alla chercher ses enfants, ayant bien soin de ne prendre que ceux qui étaient beaux. Elle les lava des pieds à la tête, peigna leurs cheveux, leur mit des chemises toutes blanches, et leur recommanda de se conduire avec sagesse en présence de Dieu. Il fut entendu qu'ils s'inclineraient poliment devant lui et qu'ils répondraient avec promptitude et clarté à toutes ses questions.

Quant aux enfans qui étaient laids, ils reçurent l'ordre de ne pas se montrer. L'un d'eux se cacha dans le foin, l'autre sous le toit, le troisième dans le four, le quatrième dans la paille, le cinquième dans la cave, le sixième dans le cuvier, le septième sous le tonneau au vin, le huitième sous les vieilles peaux, le neuvième et le dixième sous le linge, enfin le onzième et le douzième sous le cuir qui servait à faire les souliers.

A peine avait-on fini de les cacher de la sorte, que l'on frappa à la porte. Adam regarda à travers une fente, et reconnut le Seigneur. Il ouvrit respectueusement, et le Père céleste entra. Aussitôt les beaux enfans qui se tenaient en cercle s'inclinèrent et se mirent à genoux. Le Seigneur commença par les bénir; il leva ses mains sur le premier et lui dit:

— Tu deviendras un roi puissant.

Puis au second:

— Toi, tu deviendras un prince.

Puis au troisième:

— Toi, un comte.

Puis au quatrième:

—Toi, un chevalier.

Puis au cinquième:

— Toi, un noble.

Puis au sixième:

—Toi, un bourgeois.

Puis aii septième:

— Toi, un marchand.

Puis au huitième:

— Toi, un savant.

C'est ainsi qu'il partagea entre eux le trésor de ses bénédictions. Lorsque Eve vit que le Seigneur était si bienveillant et si généreux, elle se dit en elle-même:

— Si j'allais chercher maintenant mes enfans difformes, peut-être qu'il les bénirait comme les autres.

Elle courut donc et les retira de dessous le foin, de dessous la paille, le cuir, et des autres endroits où on les avait cachés. Alors arriva toute la troupe, lourde, sale, mal peignée et noire de suie. Le Seigneur sourit, les examina tous les uns après les autres, et dit:

— Eux aussi, je veux les bénir.

Il posa ses mains sur la tête du premier et lui dit:

— Tu deviendras un paysan.

Puis au second:

— Toi, tu deviendras un pêcheur.

Puis au troisième:

— Toi, un forgeron.

Puis au quatrième:

— Toi, un tanneur.

Puis au cinquième:

— Toi , un tisserand;

Puis au sixième:

— Toi, un cordonnier.

Puis au septième:

— Toi, un tailleur.

Puis au huitième:

— Toi, un potier.

Puis au neuvième:

— Toi, un charron;

Puis au dixième:

— Toi, un batelier.

Puis au onzième: 

—Toi, un courrier.

Puis au douzième:

— Toi, un domestique; et cela pour vous tous tant que vous vivrez.

Lorsque Dieu eut fini de parler, Eve lui dit:

— Seigneur, pourquoi cette distribution inégale de vos dons? ne sont-ils pas tous mes enfants? Votre libéralité aurait dû être la même pour tous.

Mais Dieu lui répondit:

— Eve, vous ne pénétrez pas mes desseins. Il me convient et la nécessité exige que j'organise le monde avec vos enfants ; s'ils devenaient tous princes et maîtres, qui donc sèmerait le grain? qui battrait le blé? qui ferait cuire le pain ? qui prendrait soin de forger, de tisser, de bâtir, de manier le rabot et la pioche ? qui voudrait tailler les habits et les coudre? Il faut que chacun exerce son métier, pour que l'un soit utile à l'autre, et que tous concourent au bien général, comme font les membres envers le corps.

— Seigneur, daignez me pardonner, répondit Eve, j'ai été trop prompte à parler. Que votre volonté divine s'accomplisse dans mes enfants.