La Véritable Fiancée (Die wahre Braut) - Conte de Wilhelm et Jacob Grimm wiki

Il était une fois une fille jeune et belle, mais sa mère était morte quand elle n'était encore qu'enfant, et sa marâtre faisait tout son possible pour la chagriner.

Lorsque la méchante femme lui donnait une tâche, elle s'y mettait de tout son courage, et la remplissait selon ses forces. Toutefois elle avait beau faire preuve de bonne volonté, rien ne pouvait toucher le cœur de la marâtre, rien ne pouvait la satisfaire. Plus la pauvre enfant était prompte à travailler, et plus sa belle-mère se plaisait à augmenter sa besogne, comme si elle eût voulu l'accabler sous un fardeau toujours plus lourd et lui rendre la vie insupportable!

Un jour elle lui dit:

— Voici douze livres de plumes; tu les prépareras dans la journée; si ce soir tu n'as pas fini, tu auras affaire à moi. T'imagines-tu qu'il te soit permis de fainéanter du malin au soir?

La pauvre fille s'assit devant son ouvrage; mais les larmes ruisselaient sur ses joues, car elle voyait bien qu'il lui serait impossible de venir à bout de cette tâche en une seule journée. Quand elle eut nettoyé devant elle un petit monceau de plumes, un profond soupir qu'elle poussa dans sa tristesse, les fit se mêler de nouveau, et la malheureuse petite fut forcée de recommencer de nouveau son ouvrage. Elle posa ses deux mains sur ses yeux et s'écria:

— N'y aura-t-il donc personne sur la terre qui, prenne pitié de moi?

Au même instant elle entendit une douce voix lui dire:

— Console-toi, mon enfant, je suis venue pour te porter secours.

La jeune fille leva les yeux, et aperçut une vieille femme debout devant elle. Cette dernière prit, d'un air caressant, la main de la petite fille et lui dit:

— Commence seulement par me confier tes peines. Encouragée par ces paroles bienveillantes, la pauvre enfant raconta à la vieille sa triste existence; comment pour elle un fardeau succédait à un autre; et elle termina en ajoutant qu'elle n'aurait jamais fini assez tôt la tâche qui lui avait été donnée.

— Si je n'ai pas terminé ce monceau de plumes ce soir, ma marâtre me frappera; elle m'en a menacée, et je sais qu'elle tient sa parole.

Les larmes de la malheureuse petite recommencèrent à couler, mais la bonne vieille, prenant la parole:

— Sois sans inquiétude, mon enfant; couche-toi et dors; pendant ce temps je ferai ta besogne.

La jeune fille s'étendit sur son lit et ne tarda pas à fermer les yeux. La vieille s'assit devant la table chargée de plumes, et sous ses doigts décharnés, les douze livres furent bientôt triées et nettoyées.

Lorsque la petite se réveilla, elle vit devant elle un gros amas d'une blancheur de neige, et tout dans la chambre se trouvait rangé avec un ordre admirable; la vieille avait disparu. La jeune fille remercia Dieu et resta assise sans rien faire en attendant le soir. Alors entra sa belle-mère, qui s'étonna de voir la besogne faite:

— Tu vois cependant ce que l'on parvient à faire avec de l'application ! N'aurais-tu pas même pu encore entreprendre quelque autre travail? Mais non, tu préfères rester là, assise les bras croisés!

En s'en allant elle ajouta:

— Cette créature n'est cependant pas tout à fait incapable, il est bon que je lui donne une rude besogne.

Le lendemain matin, elle appela la jeune fille et lui dit:

— Prends cette cuillère et sers-t'en pour vider le grand étang qui se trouve dans le jardin. Le soir venu, si la tâche n'est pas accomplie, tu sais quel châtiment t'est réservé.

La petite prit la cuillère et remarqua que le fond était percé d'un trou; ce trou ne s'y fût-il pas trouvé, il ne lui eût pas été plus facile de vider l'étang. Toutefois elle se mit sans retard au travail, s'agenouilla au bord de l'eau, dans laquelle coulèrent ses larmes, et commença d'y puiser.

Cependant la bonne vieille apparut de nouveau, et quand elle eut appris la cause du chagrin de la jeune fille, elle lui dit:

— Console-toi, mon enfant; va dans ce bosquet et fais un somme; dans l'intervalle je ferai la besogne à ta place.

Quand la vieille se trouva seule, elle se contenta de toucher la surface de l'étang : aussitôt l'eau se transforma en vapeur, et alla grossir les nuages; l'étang tout entier était à sec. Lorsque la petite se réveilla un peu avant le coucher du soleil, et qu'elle sortit du bosquet, elle ne vit plus que les poissons qui barbotaient dans la vase. Elle alla aussitôt trouver sa belle-mère, la conduisit au bord de l'étang et lui montra qu'elle avait accompli sa tâche.

— Tu aurais dû avoir fini depuis longtemps, lui dit cette dernière toute pâle de dépit; et déjà elle projetait une nouvelle épreuve.

Le matin suivant elle dit à la jeune fille:

— Il faut qu'au milieu de la plaine tu me bâtisses un beau palais; et ce palais devra être terminé ce soir.

La petite fut saisie d'épouvante, et répondit:

— Comment pourrai-je venir à bout d'un tel travail?
— Je ne souffre pas d'observations, s'écria la marâtre: quand on a su vider un étang avec une cuillère trouée, on peut aussi construire un palais, je veux qu'il soit meublé aujourd'hui même; et s'il manque la moindre chose dans la cuisine et dans la cave, tu sais à l'avance le sort qui t'attend.

Et elle poussa la jeune fille du côté de la plaine.

Quand cette dernière y arriva, elle aperçut les rochers entassés les uns sur les autres; elle eut beau réunir toutes ses forces, elle ne put remuer le moindre d'entre eux. A la fin elle s'assit découragée et fondit en larmes ; il faut dire pourtant qu'elle comptait un peu sur le secours de la bonne vieille. Celle-ci en effet ne se fit pas longtemps attendre. Elle arriva comme précédemment et consola la jeune fille.

— Va te placer à l'ombre, et fais un somme; pendant que tu dormiras, je construirai pour toi le palais. Si ensuite le désir t'en prend, tu pourras l'habiter toi-même.

Lorsque la petite se fut éloignée, la vieille ne fit que toucher les rochers immenses. En un clin d'œil ceux-ci s'agitèrent, s'agencèrent ensemble, et se dressèrent pareils à des constructions de géants; au-dessus, s'élevèrent soudain les murs et les matériaux, comme si des milliers d'ouvriers invisibles se fussent employés à poser pierre sur pierre. Le sol craqua; d'énormes piliers surgirent d'eux-mêmes dans l'air, et s'alignèrent les uns à côté des autres. Sur le toit, les tuiles se placèrent sans effort, et quand midi sonna, un magnifique drapeau reluisant d'or flottait sur la cime de la tour. Le reste du temps, jusqu'au soir, fut employé à disposer l'intérieur du palais.

Comment s'y prit la vieille, je l'ignore; toujours est-il que les murs des chambres furent décorés de velours et de soie; des siéges artistement sculptés garnirent les appartemens, des tables de marbre les remplirent de toutes parts; des lustres en cristal resplendirent suspendus aux plafonds, et dessinèrent une foule d'ombres brillantes, sur le parquet poli comme un miroir. Des perroquets verts et bleus se tenaient dans des cages d'or en compagnie d'oiseaux étrangers, qui chantaient à qui mieux mieux. C'était partout un éclat et un luxe tels qu'on eût dit que c'était là le séjour d'un roi.

Le soleil allait se coucher, lorsque la jeune fille se réveilla, et que le rayonnement de mille lumières éblouit ses yeux. Elle s'empressa d'accourir et d'entrer dans le palais, par la porte qu'elle trouva ouverte. L'escalier était couvert de tapis de pourpre; et sa rampe dorée garnie d'arbustes en fleurs. Lorsqu'elle aperçut la riche décoration des appartemens, elle s'arrêta immobile de surprise. Qui sait combien de temps elle serait restée dans cetfe position, si la pensée de sa belle-mère ne lui était venue à l'esprit?

— Hélas! se dit-elle à elle-même, si elle daignait enfin se montrer satisfaite et ne plus me tourmenter davantage?

Elle alla chercher sa marâtre et lui montra le palais terminé.

— Je veux en jouir sans retard, dit cette dernière. A peine fut-elle entrée dans le palais, qu'elle dut mettre la main devant ses yeux éblouis par tant d'éclat.

— Vois-tu, dit-elle à la jeune fille, combien la chose t'a été facile; j'aurais dû te donner une tâche plus rude.

Elle traversa toutes les chambres, fureta dans tous les coins, espérant trouver quelque chose à reprendre; mais rien ne manquait.

— Descendons maintenant, dit la méchante femme, en tournant vers la jeune fille des regards haineux; il nous reste à visiter la cuisine et la cave; si quelque chose y a été omis, tu recevras le châtiment que tu mérites.

Mais le feu brûlait dans l'âtre; les mets cuisaient dans les casseroles; les pincettes et les pelles pendaient à leurs clous, et tout le long du mur brillait la belle batterie de cuisine en cuivre poli; rien n'avait été oublié, pas même le bac à charbon et la fontaine d'eau.

— Où est l'entrée de la cave? s'écria-t-elle. Si elle n'est pas bien garnie de tonneaux de vin, tu auras lieu de t'en repentir.

Elle leva elle-même le loquet et voulut descendre l'escalier; mais à peine eut-elle fait un pas, que la lourde porte, qui n'était pas encore retenue par des gonds, s'écroula sur elle. La jeune fille entendit un cri et s'empressa de voler à son secours, mais la méchante femme avait été précipitée sur les durs carreaux; elle était morte.

Désormais le magnifique palais appartenait donc à la jeune fille. Elle fut d'abord embarrassée de son bonheur. Des parures superbes se trouvaient dans les armoires; les bahuts regorgeaient d'or, d'argent, de perles et de pierres précieuses; il n'était aucun désir qu'elle ne pût maintenant satisfaire. Le bruit de la beauté et de la richesse de la jeune fille ne tarda pas à se répandre dans le monde entier. Chaque jour se présentaient de nouveaux prétendants; mais aucun d'eux ne lui plaisait. A la fin, se présenta même le fils d'un roi. Ce dernier parvint à toucher son cœur, et elle consentit à l'accepter pour fiancé.

Dans les jardins du palais se trouvait un vert tilleul; un jour qu'ils s'entretenaient ensemble sous son ombrage, le jeune prince lui dit:

— Il faut que je parte afin de demander le consentement de mon père pour notre mariage ; je t'en prie, attends-moi sous ce tilleul; en moins de quelques heures je serai de retour.

La jeune fille l'embrassa sur la joue gauche et répondit:

— Garde-moi ta foi, et ne permets à aucune autre de t'embrasser sur cette joue. Je te promets de t'attendre sous ce tilleul.

La jeune fille tint parole; elle était encore à la même place lorsque le soleil se coucha; mais le prince ne revint pas. Elle resta là assise trois jours . et trois nuits, mais elle l'attendit vainement. Comme le quatrième jour ne le ramenait pas encore, elle se dit:

— Sans doute il lui sera arrivé malheur ; je veux aller à sa recherche, et ne revenir que lorsque je l'aurai trouvé.

Elle prit avec elle trois de ses plus belles robes: l'une ornée d'étoiles de perles, l'autre décorée de lunes d'argent, la troisième enrichie de soleils d'or; elle noua dans son mouchoir une poignée de pierres précieuses, et se mit en route. Dans tous les lieux où elle passait, elle s'informait de son fiancé; personne ne l'avait vu, personne ne pouvait lui donner de ses nouvelles; elle traversa le monde en tous sens, mais sans le rencontrer. A la fin elle s'engagea chez un paysan comme bergère, et enterr a ses habits et ses bijoux sous une pierre.

La voilà donc devenue bergère; elle eut soin de son troupeau, mais son cœur était plein du regret de son fiancé.

Elle avait un petit veau qui s'était familiarisé avec elle; il mangeait dans sa main, et lorsqu'elle disait:

Petit veau, petit veau, agenouille-toi.
N'oublie pas ta bergère,
Comme le fils du roi a oublié la fiancée
Qui s'était assise avec lui sous le vert tilleul...

le petit veau s'agenouillait aussitôt pour recevoir ses caresses.

Lorsqu'elle eut ainsi vécu toute une année dans la tristesse, la nouvelle se répandit que la fille du roi allait se marier. Le chemin qui conduisait à la ville passait près du village où demeurait la jeune fille. Un jour qu'elle menait paître son troupeau, le fiancé de la princesse passa de ce côté. Il chevauchait d'un air fier, et ne leva pas sur elle ses regards; mais la bergère ne l'eut pas plutôt envisagé, qu'elle reconnut celui qu'elle aimait. Il lui sembla en ce moment qu'on lui enfonçait un poignard dans le cœur.

— Hélas! pensa-t-elle, je croyais qu'il m'avait gardé sa foi, mais l'ingrat m'a oubliée.

Le jour suivant, le prince passa par la même route. Quand il ne fut plus qu'à une légère distance, la bergère dit à son petit veau:

Petit veau, petit veau, agenouille-toi.
N'oublie pas la bergère,
Comme le fils du roi a oublié la fiancée
Qui s'était assise avec lui sous le vert tilleul.

Le prince, entendant cette voix, tourna les yeux du côté d'où elle venait, et arrêta son cheval; il examina attentivement la bergère, de l'air d'un homme qui cherche à rappeler ses souvenirs; puis soudain il piqua des deux et disparut.

— Hélas ! se dit la pauvre jeune fille, il ne me reconnaît pas; et son chagrin redoubla.

Bientôt après, on annonça que de grandes fêtes seraient célébrées pendant trois jours à la cour du roi. On y invita tous les habitants de la contrée.

— Tentons un dernier essai, pensa la jeune fille. Quand le soir fut venu, elle se dirigea du côté de la pierre sous laquelle elle avait enterré ses trésors. Elle prit la robe ornée de soleils d'or, la revêtit, et se para de pierres précieuses. Elle dénouasses cheveux, qu'elle avait cachés jusque-là sous un mouchoir, et ils tombèrent en longues boucles sur ses épaules. Ainsi parée, elle profita des ombres de la nuit pour se diriger vers la ville. Lorsqu'elle entra dans la salle resplendissante de lumières, tout le monde recula frappé d'admiration; mais personne ne savait qui elle était. Le fils du roi s'avança à sa rencontre, sans toutefois la reconnaître. Il la conduisit à la danse, et fut si ravi de sa beauté, qu'il oublia entièrement sa fiancée. Quand la fête toucha à sa fin, elle disparut au milieu de la foule, et marcha si vite, qu'avant le retour de l'aurore, elle était déjà dans le village, et avait repris ses vêtements de bergère.

Le soir suivant, elle prit la robe ornée de lunes d'argent, et plaça dans ses cheveux un croissant de pierres précieuses. Lorsqu'elle parut à la fête, tous les regards se portèrent vers elle ; le fils du roi s'empressa d'aller à sa rencontre, et plein d'une tendre ivresse, il ne dansa qu'avec elle, sans plus avoir d'yeux pour aucune autre. Avant de partir, elle dut promettre au prince qu'elle reviendrait à la dernière fête du lendemain.

Lorsqu'elle parut pour la troisième fois, elle portait sa robe d'étoiles qui lançaient des éclairs à chaque pas qu'elle faisait; les agrafes qui retenaient ses cheveux, ainsi que la boucle de sa ceinture, étaient autant d'étoiles en pierres précieuses. Le fils du roi, qui depuis longtemps l'attendait, se précipita au-devant d'elle.

— Dis-moi donc qui tu es, lui demanda-t-il; il me semble que je te connais depuis longtemps.
— Ne sais-tu pas ce que je t'ai fait lorsque tu m'as quittée? répondit-elle.

A ces mots, elle fit un pas en avant, et l'embrassa sur la joue gauche.

Au même instant, et comme si des écailles tombaient tout à coup de dessus les yeux du prince, il reconnut sa vraie fiancée.

— Suis-moi, lui dit-il, je ne dois pas rester ici plus longtemps.

En disant ces mots, il prit sa main, et la conduisit jusqu'à sa voiture ; les chevaux partirent pour le palais merveilleux avec une telle vitesse, qu'il semblait que la voiture fût traînée par le vent. Ils en étaient encore éloignés, que déjà brillaient les fenêtres. Quand ils arrivèrent près du tilleul, d'innombrables vers luisants étincelèrent dans les feuilles; les rameaux s'agitèrent et leur envoyèrent de doux parfums. Sur l'escalier, les fleurs se mirent à fleurir plus que jamais; le chant des oiseaux étrangers s'exhalait des appartements; dans la grande salle se trouvait rassemblée toute la cour, et le prêtre attendait avec ses habits de cérémonie, prêt à unir le jeune prince à sa vraie fiancée.