Les deux cafiés - Conte de Tradition Orale

Un jour, deux pieds de café se rencontrèrent sur le grand chemin. Bien qu’ils furent parents, ils ne se donnèrent pas la main, l’un, tout jaune et sec, était né à la Martinique; sans feuilles et rabougri, il était malade, étique. Dans toutes ses branches, un serpent plein de venin s’entortillait dans les anneaux sans fin. L’autre pied de café était né à la Guadeloupe; d’un bel arbrisseau, il avait la coupe! Vert autant qu’un lézard et chargé de grains.

Il disait : «Vois, du ciel je suis protégé.» Rouge comme un flamboyant, il tenait la tête haute, tant il était fier de porter une belle récolte.

«Ah ! Ah ! Vraiment, dit-il à l’autre cafier, c’est toi qui, partout, te vante ainsi de fournir du café, à toi seul, à toute la France, quand tu t’en vas, t’en vas toujours en décadence! Toutes vermines et serpents, et la rouille et les pucerons viennent te sucer jusqu’au fin fond de tes souches! Ah ! tu es bien effronté de proclamer dans la gazette que tu es le seul bon café par dessus tous. Je te tiens aujourd’hui; voyons quelle bonne réponse tu me donneras? Sacrée petite ronce! ! ! Tandis que tu n’en peut plus, tu es toujours emprunté, tu sens la mort; demain tu seras défunt.»

L’autre cafier objecta : «Ne te fâches pas ainsi. Pour dire la vérité, à ce que tu dis, je te répondrai: une bonne renommée vaut mieux, cent fois, que ceinture galonnée. Dans le monde, c’est ainsi: chacun fait un plan, comme l’oie et le canard qui prennent la plume du paon.»

Un conte, en bon français, est un mensonge agréable celui que je viens de conter est positif, véritable. Je le certifie comme sûr et bien certain, et pour mieux le prouver, je cite un bon témoignage.

Un jour, M. Rollin, que tout le monde connaît, était allé à Paris pour faire des emplettes, et se promener. Pour cela, il avait apporté du café de la Guadeloupe où il demeurait. Un marchand parisien, flambant comme une allumette, qui se vantait de tout connaître, vint pour acheter du café chez M. Rollin. Celui-ci présenta, avec un air malin, sa belle denrée. Au mot de Guadeloupe qui sortit de sa bouche, le marchand, comme une soupe gonfla et fit un saut, en disant: «Ce n’est pas bon! C’est de mauvaise qualité; c’est noir comme du charbon! Le café que je demande, c’est le café Martinique.»

M. Rollin qui est roué, qui n’est pas du tout une bourrique, répondit au marchand qu’il avait un gros lot de bon café Martinique, au Havre, en dépôt. Deux ou trois jours après, il s’en alla vite, pour aller montrer, dans une bourse bien pleine, un petit échantillon de même qualité. Aussitôt, le marchand, avec un fin lorgnon, après vérification, cria: «Voilà l’affaire! Ah! Parlez-moi de cela! C ’est celui que je préfère à tous les autres cafés. » Il le dit, ce sot, Sans se douter un brin que c’était le même café. En France et à Paris, partout dans les boutiques, on fait passer pour café Martinique (Qui n’a pas encore vu le jour) le café Guadeloupéen qui seul est bon et qui se trouve partout.