Ti-Pierre et la chatte blanche - Conte de Charles Quinel wiki

Le conte-ci est encore de la façon de Narcisse Peucher, nous lui en laissons la responsabilité :

— Il est bon de vous dire qu’une fois c’est un roi qui a trois fils. Un s’appelle Cordon-bleu, l’autre Cordon-vert, l’autre Ti-Pierre, et c’est le plus jeune. Les deux aînés le méprisent un peu, car eux sont grands et forts, et lui est mince et chébit, mais il a plus d’esprit dans son petit doigt qu’eux dans leurs deux grands corps.

Un jour, le roi dit à ses fils :

— Je suis vieux et il est temps que l’un de vous hérite de mon royaume; seulement, je veux que celui qui aura mes biens soit capable de se tirer d’affaire dans le monde. Aussi je donnerai ma couronne à celui de vous autres qui aura qu’ri la plus belle princesse, les plus beaux chevaux et le plus beau carrosse.

Comme de fait, voilà les trois garçons partis, et marchent, marchent. Au bout du chemin, ils atteignent une fourche où sont trois sentiers.

— Je suis l’aîné, je choisis ce sentier, déclare Cordon-bleu.
— Et moi, celui-ci, ajoute Cordon-vert..
— Ben moi je prends celui qui reste, soupire Ti-Pierre.

Ils disent :

— Tel jour, nous nous retrouverons tous trois à cette fourche.

Ti-Pierre suit son sentier et marche, marche. Il pense tout en cheminant : « Je ne suis pas assez grand, je ne suis pas assez fort pour conquérir la plus belle princesse, les plus beaux chevaux et le plus beau carrosse. J’aurais aussi ben fait de demeurer à la maison au lieu de me fatiguer à courir icite. »

Parvenu au bout du sentier, Ti-Pierre s’enfonce dans la forêt. Il trouve un autre sentier, et encore un autre, il commence à être ben las quand il arrive à une pauvre cabane qui semble abandonnée.

Il fait le tour de la maison et tout ce qu’il aperçoit c’est une jolie chatte blanche, aux oreilles pointues, au museau rose; elle s’amuse à observer quatre vilains crapauds qui s’ébattent an bord d’une mare.

Ti-Pierre salue comm’i’faut la chatte blanche et il s’assied devant la porte de la cabane à attendre que les maîtres rentrent pour leur demander l’hospitalité.

Il est là tout triste, la tête dans ses mains, à songer qu’il n’aura pas la couronne, qu’un de ses frères règnera et que, lui, il sera abreuvé de mauvais traitements, car ni Cordon-bleu, ni Cordon-vert ne l’aiment et lorsque leur père n’aura plus le pouvoir de le protéger, il sera malheureux.

Il en est là de ses réflexions lorsqu’il sent quelque chose de chaud et de doux qui le frôle. Il voit que c’est la chatte blanche. Il étend la main et caresse doucement son beau pelage.

La chatte fait ronron et, quand elle a bien ronronné, elle saute sur les genoux de Ti-Pierre. Elle le regarde de ses grands beaux yeux verts et elle lui dit :

— Pourquoi es-tu chagrin?
— Madame la chatte, répond Ti-Pierre ben comm’i’faut, mon père a promis sa couronne à celui de nous autres, ses trois fils, qui ramènerait la plus belle princesse, les plus beaux chevaux et le plus beau carrosse.
— Tu tiens beaucoup à cette couronne?
— Mes frères ne m’aiment pas et, quand mon père n’y sera plus, celui qui règnera à sa place me rendra ben misérable et c’est pourquoi je suis chagrin.
— Comment t’appelles-tu?
— On m’appelle Ti-Pierre.
— Cou’don, Ti-Pierre. demain tu retourneras vers le château de ton père; tu me prendras sous ton bras; les quatre crapauds que tu as vu s’ébattre près de la mare, tu les enfermeras dans un sac que tu porteras sur ton dos. Ce n’est pas tout : tu vois ce noyer, tu ramasseras la première noix qui tombera devant toi et tu la mettras dans ta poche.
— Cela ne me donnera pas la princesse, les chevaux et le carrosse.
— Fais ce que je te dis. Lorsque tu seras en présence de ton père le roi, tu me caresseras comme tu as fait tout à l’heure : avec une étrille à chevaux tu étrilleras le dos des crapauds. Quant à la noix tu la casseras entre les doigts.
— Madame la chatte, répond Ti-Pierre, je vous obéirai en tout.

Après une nuit passée dans la maison solitaire, Ti-Pierre se lève, prend la chatte sous son bras, saisit les quatre crapauds qu’il met dans un sac, s’en va sous le noyer. Une noix tombe tout dret devant lui. Il la ramasse et la fourre dans sa poche. Ainsi chargé, il s’engage sur le chemin du château et marche, marche.

Arrivé à la fourche, il trouve ses frères.

Cordon-bleu est assis dans lui beau carrosse d’argent traîné par quatre chevaux noirs et, à ses côtés, se tient une princesse aux cheveux sombres comme la nuit.

Cordon-vert occupe un carrosse en or traîné par quatre chevaux blancs et il est accompagné par une princesse aux cheveux blonds comme les blés.

Quand les deux grands garçons voient leur cadet qui porte sous son bras sa chatte, sur son dos un vieux sac et qui marche à pied, ils s’esclaffent et rient tant qu’ils peuvent rire.

— Ce n’est pas toi, au moins, disent-ils, qui auras la couronne de notre père.

Dans leurs beaux équipages, ils continuent leur route. Ben las, Ti-Pierre les suit de loin. Lorsqu’il parvient au château, tous les serviteurs se moquent de lui.

— Pauvre Ti-Pierre, te v’là ben avancé à ct’heure crient-ils en feignant la pitié.

Ti-Pierre n’a pas le temps de se reposer, le roi veut le voir. Le jeune homme trouve son père dans la cour du château en train d’admirer et de juger les princesses, les carrosses et les chevaux que ses fils aînés ont ramenés. Il ne sait pas en faveur de qui se prononcer.

A l’approche de soit fils cadet, le monarque prend un air courroucé.

— Te gausses-tu de moi? Je t’ai envoyé qu’rir une belle princesse, de beaux chevaux et un beau carrosse et voilà ce que tu rapportes.

Ti-Pierre ne répond rien mais il a bien envie de pleurer. Il dépose la chatte blanche et la caresse tristement. Il sort ses crapauds du sac et leur passe l’étrille sur le dos. Enfin il tire sa noix de sa poche et la fait craquer dans ses doigts.

A ce montent, malgré que le temps soit clair et qu’on soit au début du printemps, on entend un formidable coup de tonnerre; la noix échappe de la main de Ti-Pierre; elle grossit, grossit et devient un carrosse tout en diamants et en pierres précieuses.

Les quatre crapauds eux aussi grandissent; ils deviennent grands comme des lapins, puis comme des chiens, puis comme des veaux et enfin ce sont quatre superbes coursiers rouges qui d’eux-mêmes s’attellent au carrosse.

Tout le monde bée d’admiration; et soudain s’élève un grand cri, Ti-Pierre s’est retourné. Il voit auprès de lui une princesse merveilleuse, la plus belle que l’on puisse rêver; elle a des cheveux de la couleur de l’or roux, dans lesquels brille un diadème; elle est enveloppée de fourrures blanches comme la neige et ses larges prunelles sont vertes.

Le roi s’avance :

— Ti-Pierre, dit-il, tu as mérité ma couronne et, si cette belle princesse le veut ben, tu l’épouseras.

Il y eut des noces splendides, j’y étais. Ils ont voulu me garder au château, mais moi j’aimais mieux venir icite pour vous en raconter l’histoire.