Compère Lapin et compère Bouki - Conte de Tradition Orale

Un jour, de bon matin, compère Lapin se leva et sentit la faim le gagner. Il chercha de tous côtes dans sa cabane, et ne trouva rien à manger. Il alla du côté de compère Bouki. Quand il arriva, il vit (lui voir) compère Bouki grignotant un os (après grignoter un os).

Hé ! compère Bouki, je venais déjeuner avec toi; je vois (moi voir) tu n'as pas quelque chose de fameux à me donner ?
— Les temps sont durs, compère Lapin; il n'y a plus de ration dans la cabane, il n'y a juste que cet os qui soit resté.

Compère Lapin songea (jongla) un bout de temps.— Hé bien ! compère Bouki si tu veux nous irons à la chasse desœufs de tortue. Tope ! allons, partons tout de suite.

Compère Bouki prit son panier avec sa pioche, et ils allèrent du côté du bayou dans le bois.

Compère Lapin, je ne vais pas souvent à la chasse des œufs de tortue, je ne sais pas beaucoup les trouver.

Ne t'inquiète pas, compère Bouki; je trouverai toujours l'endroit où les tortues pondent leurs œufs. Toi, tu les fouilleras.

Quand ils arrivèrent au ras du bayou, compère Lapin de marcher doucement, regardant bien, par ici, par là. Bientôt il s'arrêta tout court.

— Compère Bouki, la tortue se croit bien fine. Elle gratte la terre avec sa grosse patte, et elle pond ses œufs dans le trou; puis elle met un peu de sable sur eux, et puis elle éparpille des feuilles sur son nid. Tu vois cette butte? ôte ces feuilles et gratte avec ta pioche; sûr tu trouveras des œufs. Compère Bouki fit ce que compère Lapin lui dit, et ils virent un tas d'œufs briller dans ce trou là.

Compère Lapin, tu es plus malin que moi; je suis bien content de t'avoir pour ami. Compère Lapin partagea les œufs, il en donna la moitié à compère Bouki.

Compère Bouki, j'ai beaucoup faim, je vais manger mes œufs (mes miens œufs-mo kenne dézef) tout de suite.

Fais comme tu voudras, compère Lapin: moi je vais porter les miens près de ma femme pour les faire cuire.

Ils coururent beaucoup encore, et trouvèrent encore beaucoup d'œufs. Compère Lapin mangeait toujours les siens; compère Bouki n'aimait pas les œufs crus; il les mit tous dans son panier.

Compère Bouki, je commence à être las; je crois qu'il est temps de nous en retourner. J'ai assez d'œufs pour aujourd'hui, compère Lapin; allons, re tournons-nous-en.

Tandis qu'ils allaient de l'avant, compère Lapin songea en lui- même : 
Compère Bouki ne sait pas trouver les œufs de tortue, c'est moi qui les ai trouvés, ils doivent être tous pour moi. Il faut que je fasse métier (que je trouve moyen) pour les avoir.

Quand il furent près d'arriver, compère Lapin dit : 
— Compère Bouki, j'ai oublié de porter des œufs pour ma vieille maman. Tu devrais bien m'en prêter une douzaine; je te les rendrai une autre fois.

Compère Bouki lui en donna une douzaine, et ils s'en allèrent chacun son chemin. Compère Lapin alla mettre sa douzaine d'œufs dans sa cabane, puis il s'en alla du côté de compère Bouki. Quand il fut près de la cabane de compère Bouki, il commença à se plaindre, tenant son ventre. Compère Bouki sortit.

Qu'as-tu, compère Lapin ? on dirait que tu n'es pas gaillard.

Oh ! non, compère Bouki, ces œufs de tortue m'ont empoisonné.

Je t'en prie, vite va chercher le médecin. 
— J'irai aussi vite que je pourrai, compère.

Dès que compère Bouki fut parti, compère Lapin alla dans la cuisine et se mit à manger les œufs de tortue.

— Dieu merci, je mangerai plein mon ventre aujourd'hui. Ce médecin-là demeure loin, j'ai le temps de manger tout avant qu'ils arrivent.

Comme compère Lapin était près de finir de manger les œufs, il entendit compère Bouki parler dehors.

— Docteur Macaque, je suis bien content de vous avoir rencontré sur mon chemin; mon ami est bien malade.

Compère Lapin ne perdit pas de temps; il ouvrit la fenêtre et sortit. Compère Bouki rentra dans sa cabane, il ne vit pas compère Lapin. Il alla dans la cuisine: les coquilles d'œufs étaient éparpillées partout. Compère Lapin était déjà rendu dans le clos. Compère Bouki s'arracha les cheveux, tant il était en colère. Il se mit à courir après compère Lapin. Compère Lapin avait tant mangé d'œufs qu'il ne pouvait pas courir vite. Quand il vit que compère Bouki le chauffait de trop près, il se fourra dans un trou d'arbre. Compère Bouki appela compère Tortue qui passait sur le chemin.

— Compère Tortue, je t'en prie, viens guetter compère Lapin qui a volé tous tes œufs. J'irai chercher ma hache pour abattre cet arbre.

— Va vite, compère Bouki, je guetterai ce coquin-là bien.

Quand compère Bouki fut parti, compère Lapin dit :
— Compère Tortue, regarde dans ce trou, tu verras si j'ai tesœufs.

Compère Tortue leva la tête; compère Lapin lui envoya du bois pourri dans les yeux. Compère Tortue alla laver ses yeux dans le bayou; compère Lapin s'échappa tout de suite. Compère Bouki vint abattre l'arbre; il vit que compère Lapin s'était déjà échappé. Il était si en colère qu'il alla trouver compère Tortue au bord du bayou et il coupa sa queue avec sa hache. Voilà pourquoi la queue de la tortue est courte comme ça jusqu'aujourd'hui.»