Ntombi, jeune fille de la mer - Conte de Tradition Orale

Une jeune fille nommée Bakabaka vivait dans un village, au bord de la mer. Elle aimait beaucoup la mer : toute la journée elle se baignait, se sentant dans l'eau plus à l'aise que sur la terre ferme.

«Je n'épouserai jamais un homme qui vit loin de la mer», se promettait Bakabaka. Et, en effet, elle se maria avec un jeune homme qui vivait lui aussi dans un village au bord de la mer.

Les jours passèrent et Bakabaka mit au monde une petite fille qu'elle appela Ntombi. Lorsqu'elle allait aux champs, elle emmenait Ntombi avec elle. Elle la confiait à la mer pour que la petite ne la gêne pas dans son travail. La mer prenait bien soin du bébé. Les vagues jouaient avec lui et Bakabaka leur faisait confiance comme à la plus attentive des nourrices.

Or, un jour, la mer ne rendit pas la petite Ntombi à sa mère. Celle-ci eut beau se lamenter et se reprocher la légèreté avec laquelle elle avait confié son enfant à cet élément traître, rien n'y fit. La petite disparut sans laisser de traces.

Elle ne s'était pas noyée. La mer l'avait emportée au loin pour la déposer sur le rivage, prés d'un village étranger. La nuit commençait à tomber. La petite fille était couchée sur le sable et appelait sa mère. En vain. Personne ne répondait.

Tout d'un coup, une curieuse vieille femme apparut sur le rivage. Elle avançait en sautillant car elle n'avait qu'une jambe. C'était une cannibale et on sait que les cannibales sont unijambistes.

La vieille sautilla jusqu'à la petite fille et demanda :

«Qui es-tu ?»

«Je suis Ntombi, et c'est la mer qui m'a déposée ici», répondit l'enfant.

La vieille hocha la tête :

«Je vois que tu n'es pas d'ici. Les gens d'ici n'ont qu'une seule jambe, car ils sont cannibales. Moi aussi, je suis une cannibale et je m'appelle Salukazi. Mais tu n'as pas à avoir peur. Je ne te mangerai pas et je ne permettrai pas aux autres de te faire du mal!»

Salukazi et Ntombi s'en allèrent ensemble dans le village des cannibales. A leur passage, les gens sortaient de leurs huttes et se pourléchaient en voyant la petite fille bien potelée.

Salukazi leur cria :

«Cette enfant n'est pas pour vous ! Celui qui osera lever la main sur elle, aura affaire à moi !»

Sur ce, la vieille leva les bras et marmonna des paroles incantatoires :

«Khlvi, khlvi, khlvi, vokhlo, vokhlo, vokhlo !»

Une tornade, une averse et une tempête des plus terribles s'abattirent aussitôt sur le village, renversant les hommes, emportant les toits des huttes. Les éléments ne se calmèrent que lorsque la vieille baissa les bras.

Salukazi était une puissante magicienne qui savait invoquer la pluie et le vent. Les hommes la craignaient et personne n'osa lever la main sur la petite Ntombi.

Les villageois se disaient :

«Ce n'est pas grave. Salukazi finira bien par mourir. En attendant, Ntombi grandira, grossira et nous nous en régalerons !»

Cinq, dix, quinze ans passèrent. Ntombi s'était transformée en une belle jeune fille et Salukazi en une trés vieille femme chenue qui ne sortait plus de sa maison. Ntombi en prenait soin comme s'il s'agissait de sa propre grand-mère et Salukazi lui apprenait des tours de magie. Les gens la craignaient toujours, si bien que personne n'osait nuire à Ntombi. Mais ce n'était que partie remise : ils guettaient la mort de la magicienne pour se régaler de la chair rôtie de cette jeune fille. Les femmes entreprirent déjà de ramasser le bois et de dresser un grand bûcher.

«Pourquoi rassemblez-vous tout ce bois ?» s'enquit Ntombi.

«Salukazi peut mourir d'un jour à l'autre», répondirent les femmes. «Il faut préparer des funérailles dignes d'elle.»

Salukazi n'était pas dupe :

«Ce n'est pas vrai. Ils attendent ma mort pour te faire rôtir et pour te manger !»

Ntombi sortit de la maison, leva les bras et murmura des paroles magiques :

«Khlvi, khlvi, khlvi, vokhlo, vokhlo, vokhlo !»

Une averse et une tornade terribles s'abattirent aussitôt sur le village, renversant les hommes, emportant les toits des huttes et éparpillant le bois du bûcher aux quatre coins du monde.

Effrayés, les villageois s'inclinèrent devant la jeune fille qui alla se vanter de son exploit à la vieille :

«Rien ne m'arrivera. Les gens ont peur de moi.»

La vieille hocha tristement la tête :

«Ils ont peut-être peur, mais ils sont nombreux. Tu ne peux pas déchaîner la tempête tous les jours. Tu dois partir avant que je meure.»

Ntombi s'écria :

«Je ne partirai pas, grand-mère, sans t'avoir fermé les yeux !»

Salukazi répondit :

«Si tu veux que je meure tranquille, tu partiras cette nuit même.»

Sur ce, elle se dressa sur sa couche et sortit de dessous la natte sur laquelle reposait une corne d'antilope. Elle la tendit à la jeune fille, en lui conseillant :

«Cette corne magique te conduira chez toi. Entre dans la mer qui t'emportera jusqu'à ton village, d'où elle t'a ravie il y a des années.»

Ntombi finit par obéir. Elle fit ses adieux, en pleurant, à sa grand-mère cannibale et profita de la nuit pour s'enfuir du village. Elle courut jusqu'à la mer, se jeta dans les vagues, la corne magique à la main, et se laissa porter par les flots.

La vieille Salukazi mourut dans la nuit. Le matin, les villageois trouvèrent sa dépouille, mais Ntombi avait disparu sans laisser de traces.

La mer emporta Ntombi au lointain et la déposa sur le sable, prés de son village natal. Etonnée, Ntombi regarda autour d'elle. Elle aperçut une femme qui se dirigeait tout droit vers elle.

«Qui es-tu ? Comment es-tu venue jusqu'ici ?» demanda-t-elle.

La jeune fille répondit :

«Je suis Ntombi et mon village natal devrait se trouver ici.»

La femme poussa un cri de joie et se jeta à son cou. C'était sa mère Bakabaka.

Tout le village se réjouit du bon retour de Ntombi. Bakabaka remercia la mer de lui avoir rendu sa fille, mais plus jamais elle ne lui fit confiance comme auparavant, se gardant bien de lui abandonner sans surveillance ses enfants et ses petits-enfants.