Les deux rats boulangers - Conte de Tradition Orale

Un jour, deux mauvais rats, insolents et gourmands, Dérivaient les chemins tout comme deux vieux manants. Dans un maison, pour rentrer, l’un disait à l’autre:

«Nous ne sommes pas pressés, mon fils. Voyez, devant la porte, chien, chat et puis bâton qui nous menacent. La mort n’est pas bonne, mon cher ; il vaut mieux rester en trou. Ce soir, à l’angélus, nous gagnerons l’église; là, nous pourrons trouver une petite friandise. Les dévotes aiment les bonbons; elles ont toujours beaucoup de choses dans leur sac, dans leur poche.»

Alors, nos deux malins, dans la grande case du bon Dieu, dibouidi, dibouidipe, en cachette, coururent pour tâcher de faire une dupe. Venez les voir grigner! Leurs babines ont retroussées; ils sentent, ils reculent, ils avancent ; tantôt c’est en avant, tantôt c’est en arrière. Enfin, ils aperçoivent une vieille femme, en prière, qui s’était mise à genoux: son corps était tout blotti. A l’entrée de sa poche, quelque chose sortait; c’était… qu’est ce que c’était? Un cornet rempli de farine de boulanger, pour faire de la bouillie, qu’elle avait achetée. Ces deux rompus coquins tirèrent, tout en douceur, le cornet dans un coin. Quand ils l’ouvrirent, ils virent que c’était de la farine.

Ils dirent: «Mais comment donc manger une chose si fine?»

Le plus gros rat dit : «Jouons au boulanger. Mais, pour cela, il nous faut de l’eau, et il y a grand danger pour ressortir et en chercher jusqu’à la fontaine.»

L’autre rat reprit: Vous prenez trop de peine. Pissez mon fils.

— Hélas ! je n’en ai pas besoin.
— Quoi ! votre vessie est pleine d’eau; forcez, ça viendra. Pendant que vous pisserez sur la farine, moi, je pétrirai pour faire la pâte. Farine et urine font de bonnes boulettes: A Paris, c’est ainsi que l’on fait les galettes. Nous nous régalerons sans beaucoup de peine; nous nous passerons d’eau: nous n’en avons pas besoin.»

Sitôt dit sitôt fait, à force de gourmandise; ils versèrent la farine sur un banc de l’église, qu’ils avaient cherché, pour cela, avec un bien grand soin, un banc qui était placé au fond, dans un coin. Sur la farine, l’un se mit à quatre pattes; l’autre, en-dessous, était prêt à manœuvrer la pâte.

Alors le petit dit: «C’est une bonne position; allons, pissez, mon cher.

— Hélas ! rétention, r épondit le gros: c’est une bien grande souffrance qui me donne dans le flanc comme des petits coups de lance; cette maudite maladie me chagrine bien! En vérité, ami, le ciel m’est témoin: mes efforts sont violents; j’ai mal au ventre.
— Forcez toujours, jusqu’à ce que l’eau soit courante; songez quelle bonne chose nous allons manger! Forcez encore, mon fils; envoyez un bon coup!»

Le rat força tant, qu’il envoya un gros pet qui était si fort, si fort, qu’on eut dit une tempête. Le vent qui souffla, comme un vent déchaîné, sur la farine, la fit tourbillonner. La farine vola comme une fumée, tout comme, dans les combats, on le voit à l’armée. Ces foutus rats, tout blancs, comme deux vieux loups-garous, cherchaient partout à rentrer dans des trous. Tout espoir avait fichu le camp, la farine ayant disparu.

Chansons de pleurs, souvent, remplacent la fête. De ce qui leur est arrivé, qui s’en serait douté? Pour naviguer, il faut voir d’où vient le vent; ne jamais pratiquer un métier que l’on ne connaît pas Si, comme ces rats, on ne veut pas rester bête.