Les messagers de la Mort (Die Boten des Todes) - Conte de Wilhelm et Jacob Grimm wiki

Il y a bien longtemps, bien longtemps, un géant passait sur la grande route, lorsque tout à coup un inconnu s'élança en face de lui en criant:

— Halte-là!
— Comment! dit le géant, un nain que j'écraserais facilement entre mes doigts, ose me barrer le chemin! Qui donc es-tu pour t'exprimer avec une telle audace?
— Je suis la Mort, répond l'inconnu, personne ne me résiste, et toi aussi tu dois obéir à mon commandement.

Mais le géant ne tint pas compte de ces paroles, et il engagea une lutte avec la Mort. Ce fut un combat long et acharné. A la fin pourtant, le géant asséna un coup si violent à la Mort, que celle-ci tomba sur une pierre. Le géant poursuivit son chemin, et la Mort gisait vaincue sur le sol, et si faible qu'elle ne pouvait se relever.

— Qu'arrivera-t-il, pensait-elle, si je reste étendue dans un coin? Personne ne mourra plus sur la terre qui s'emplira de tant d'habitants, qu'ils finiront par n'y plus trouver place.

Cependant un jeune homme vint à passer, un jeune homme frais et brillant de santé; il chantait et regardait autour de lui. A peine eut-il aperçu la pauvre victime, qu'il s'approcha d'elle avec compassion, lui aida à se relever, lui fit boire dans sa gourde un vin généreux, et ne la quitta que lorsqu'elle eut repris ses forces.

— Sais-tu bien qui je suis? dit-elle en se redressant; sais-tu bien qui tu as aidé à se remettre sur ses jambes?
— Non, repartit le jeune homme, je ne te connais pas.
— Je suis la Mort, reprit-elle, je n'épargne personne, et je ne puis même pas faire d'exception en ta faveur. Mais pour te prouver ma reconnaissance, je te promets de ne pas venir te prendre à l'improviste; je t'enverrai mes messagers avant de venir moi-même te chercher!
— Merci, répondit le jeune homme, c'est toujours cela de gagné ; je saurai du moins à quoi m'en tenir.

Cela dit, il continua sa route joyeux et content, et vécut sans souci. Mais la jeunesse et la santé s'en allèrent bientôt; vinrent les maladies et les douleurs qui s'abattirent sur lui.

— Je ne mourrai pas, pensait-il, car la Mort doit m'envoyer d'abord ses messagers; je voudrais seulement que ces mauvais jours de maladie fussent passés.

A peine fut-il de nouveau bien portant, qu'il recommença son joyeux train de vie. Mais voilà qu'un jour quelqu'un lui frappe sur l'épaule; il se retourne, et voit la Mort debout devant lui.

— Suis-moi, lui dit-elle ; l'heure de quitter le monde est venue.
— Comment! répond notre homme, voudrais-tu manquer à ta parole? Ne m'as-tu pas promis de m'envoyer tes messagers avant de te présenter toi-même? Je n'en ai vu aucun.
— Comment! s'écrie la Mort; ne les ai-je pas dépêchés vers loi l'un après l'autre? Ne te souviens-tu pas de la fièvre qui vint te coucher dans ton lit? Est-ce que la goutte n'est point venue te tordre tous les membres? N'as-tu pas entendu bourdonner tes oreilles? Les maux de dents ne sont-ils pas venus gonfler tes joues? Les ténèbres ne se sont-elles pas abaissées devant tes yeux? Et, mieux que tout cela, est-ce que mon frère bienaimé, le Sommeil, ne t'a pas averti chaque jour de songer à moi? Ne gisais-tu pas dans la nuit comme si tu eusses été déjà plongé dans les ombres éternelles?

Notre homme ne sut que répondre; il s'abandonna à sa destinée, et suivit la Mort.