Amazonte - Conte de Cristoforo Armeno wiki

L’AMOUR est une passion violente, qui n’écoute point les conseils de la raison ; mais quelque rapide que soit ce torrent, il n’est pas toujours impossible de l’arrêter, pouvu que l’on s’y conduise avec délicatesse : c’est ce qu’on verra dans l’histoire que je vais rapporter. Il y avoit à Jérusalem un gentilhomme fort accompli, soit pour son esprit, soit pour sa personne, qui se nommoit Raphane. Après avoir passé plusieurs années agréablement dans le commerce des dames, sans aucun attachement remarquable, il donna enfin tous les soins à une jeune demoiselle nommée Amazonte. Elle étoit belle, fort riche, & d’une naissance assez distinguée, mais ce qui faisoit son principal caractère, c’est qu’elle avoit l’espit bien fait, & une douceur charmante, qui lui attiroit l’estime de tous ceux qui la voyoient. Avec un mérite si essentiel, on peut juger qu’elle ne manquoit pas d’amans. Ainsi, il s’agissoit, pour Raphane, de lui plaire assez, afin de l’emporter sur ses rivaux. Comme il savoit qu’elle aimoit les fleurs, il lui envoya un bouquet, avec ces vers :

Allez, aimables fleurs, allez vers Célimène,
Où votre heureux destin vous mène,
Destin trop charmant & trop doux,
Dont les dieux vont être jaloux,
Allez parer son sein d’albâtre
Que j’adore & que j’idolâtre :
Dépêchez, courez promptement,
Ne perdez pas un seul moment,
Pour être, en arrivant, jeunes, fraîches & belles ;
Car Célimène vous veut telles :
De vos douces odeurs respectez sa beauté,
Assurez-la de ma fidélité,
Et lui consacrez votre vie ;
Quoi qu’elle soit bien courte, elle va faire envie ;
Et puis, en attendant un glorieux trépas
Auprès de ses divins appas,
Dites-lui quelquefois que j’en attends un autre,
Hélas ! moins heureux que le vôtre ;
Car elle veut, par ses rigueurs,
Que, loin de ses beaux yeux, je meure misérable,
Lorsque, sur sa gorge adorable,
On vous verra mourir avec mille douceurs.

Amazonte reçut ce bouquet & ces vers avec beaucoup de plaisir. Raphane en fut ravi ; il redoubla ses assiduités auprès d’elle. Les témoignages continuels qu’il lui donnoit de l’amour le plus soumis & le plus sincère, lui acquirent dans son cœur le rang glorieux qu’il cherchoit à y tenir. Il eut pourtant à combattre l’obstacle fâcheux de quelques parens qui proposoient pour Amazonte divers partis, dont elle eût pu tirer des avantages plus grands du côté de la fortune ; mais rien ne rebuta cet amant, & continuant toujours à aimer avec une ardeur qui ne se démentoit point, sa persévérance lui fit enfin obtenir le consentement qu’on lui avoit longtemps refusé. Le mariage se fit, & il fut suivi de tout le bonheur que peut causer l’union la plus parfaite. La tendresse d’Amazonte, & sa complaisance à s’accommoder entièrement à l’humeur de son mari, le rendirent attentif à faire de son côté tout ce qu’il croyoit lui devoir être agréable, & il sembloit qu’ils combattissent ensemble à qui pourroit se donner de plus fortes marques de l’échange mutuel qui s’étoit fait de leurs cœurs.

Cependant comme avec le temps on s’accoutume au bonheur, & que l’habitude d’en jouir le rend moins sensible, Raphane commença à prendre goût à la conversation d’une assez jolie personne qui avoit pour lui un charme particulier. C’étoit celui de la voix, qu’elle accompagnoit admirablement du théorbe. Le hasard seul lui en ayant donné connoissance, il lui rendit quelques visites, d’abord d’une manière qui ne marquoit rien par delà l’amusement ; mais à force de la voir & de l’entendre chanter, il sentit son cœur touché pour elle ; & sans songer à quoi cet engagement le meneroit, il ne put s’empêcher de lui parler une langue qui lui fit connoître ce qu’elle pouvoit sur lui. La demoiselle ne fut point fâchée d’avoir fait cette conquête, & s’attacha d’autant plus à se l’assurer, que sa mère, qui avoit fort peu de bien, & qui régloit sa conduite, lui fit comprendre que raphane étant fort riche, elles en pourroient tirer d’utiles secours si elle venoit à bout de s’en faire aimer véritablement : cet amant, enflammé par les complaisances qu’on avoit pour lui s’abandonna sans réflexion à sa passion naissante ; & comme il est impossible de ne pas rêver quand on a quelque chose dans le cœur, sa femme, qui trouva quelque changement dans ses manières, se plaignit à lui du relâchement de son amour. Il lui protesta qu’il avoit toujours pour elle & le même cœur & les mêmes sentimens. Ce fut assez pour lui remettre l’esprit dans sa première tranquillité, & elle ne la perdit que quand la nouvelle passion de Raphane eut fait assez de bruit dans le monde, pour ne lui plus laisser ignorer qu’il avoit une maîtresse. Le coup lui fut très sensible ; mais comme il est dangereux d’aigrir un mari en s’opposant avec trop d’empire & d’une manière trop impétueuse à des sentimens qui flattent le cœur, elle lui parla de l’injustice de ceux qui condamnoient sa conduite, comme si elle eût été véritablement persuadée que toutes les visites qu’il rendoit étoient innocentes, & qu’elles n’avoient pour vue que le plaisir d’entendre une belle voix.

Raphane, ravi de la voir sans jalousie, lui avoua qu’il ne croyoit pas qu’on lui dût défendre d’aller quelquefois chez une personne qui avoit beaucoup de talens pour la musique qu’il avoit toujours aimée passionnément, & qu’il y avoit si peu de mystère dans l’attachement qu’on sembloit lui reprocher, qu’il n’auroit point de peine à le rompre, si elle vouloit l’exiger de lui. Sa femme lui répondit que ne cherchant qu’à le voir heureux, elle n’avoit rien à lui prescrire ; qu’elle le croyoit trop raisonnable pour vouloir permettre qu’on lui dérobât son cœur, & qu’il connoissoit mieux que personne ce que sa tendresse méritoit de lui. Cette matière ne fut pas poussée plus loin. Amazonte se contenta de s’être mise en droit de parler, & employa, pendant quelques temps, les manières les plus tendres & les plus douces pour ramener son mari à elle ; mais ayant connu que son engagement augmentoit, & que ses visites chez la demoiselle étoient plus fréquentes & plus longues, elle crut lui devoir ouvrir son cœur d’une manière un peu sérieuse. Elle l’assura que son intérêt ne l’obligeoit à aucune plainte, & que si tout le monde vouloit juger de ses sentimens aussi favorablement qu’elle faisoit, elle verroit, sans en murmurer, qu’il se fût fait un amusement qui lui faisait passer agréablement quelques heures inutiles ; mais elle le pria en même temps de considérer l’injure qu’on lui faisoit, lorsqu’on l’accusoit d’un engagement injuste, & qu’il devoit, pour lui-même, cesser de donner occasion à des bruits qui ne lui pouvoient être que désavantageux.

Quoique cette remontrance fût aussi juste qu’honnête, Raphane s’en sentit blessé, & la souffrant impatiemment, il interrompit sa femme, pour lui dire qu’il n’avoit qu’elle seule à satisfaire, sans qu’il dût s’inquiéter de ceux qui condamnoient sa conduite, & qu’il croyoit qu’elle avoit tout lieu de s’en louer, puisqu’il ne la contraignoit en aucunes choses, & qu’il l’aimoit toujours avec une très-grande tendresse, dont il ne pouvoit lui donner de meilleures marques qu’en la laissant en pouvoir de faire telle dépense qu’elle souhaiteroit, comme il le trouvoit fort juste, ayant eu beaucoup de bien d’elle en l’épousant. Cela fut dit un peu aigrement, & Amazonte, qui étoit fort douce, comprit qu’il lui seroit inutile de combattre alors plus fortement une passion qu’elle voyoit dans sa violence. Ainsi, elle résolut de fermer les yeux sur l’aveuglement où il étoit, & de tâcher de rappeler toute sa tendresse par un redoublement de marques d’amour & de complaisance. Dans ce dessein, elle sut si bien se modérer, qu’il ne lui échappa aucune chose qui donnât la moindre marque de ce que les égaremens de son mari lui faisoient souffrir.

Elle l’excusoit quand ses amies vouloient qu’elle se plaignît, & trouvoit qu’on avoit tort de blâmer le choix qu’il avoit fait d’une amie. Un procédé si touchant troubloit le bonheur de Raphane, qui, se reprochant son injustice, ne jouissoit pas tranquillement de l’entière liberté qu’elle lui laissoit de voir la personne qui avoit touché son cœur. La jalousie lui ôta bientôt après le peu de repos qu’il essayoit de se conserver. Lorsqu’il avoit commencé de lui rendre ses soins, il l’avoit trouvée presque sans meubles, & tout d’un coup il lui vit une belle tapisserie, un grand miroir, un beau sopha, & enfin tout ce qui pouvoit servir à rendre propre un appartement. Il demanda d’où cela venoit, & la demoiselle répondit qu’un inconnu avoit fait donner le tout à sa mère, & qu’il y avoit beaucoup d’apparence que c’étoit un présent qu’il avoit voulu lui faire d’une manière galante. Le chagrin qu’il marqua à l’une & à l’autre, leur fit connoître qu’il n’avoit aucune part à cette galanterie ; & sur ce qu’il prit son sérieux, la mère lui dit que la personne qui avoit envoyé ces meubles, les avoit fait laisser sans rien dire ; que, dans l’embarras de leurs affaires, sa fille ne se trouvoit point en état de refuser ces sortes de choses, à moins qu’il ne voulût lui donner moyen de s’en passer ; ce qu’il pouvoit faire, vu les grands biens qu’il avoit, sans s’incommoder aucunement. Cette déclaration lui ferma la bouche. On fit de nouveaux présens, & ce fut encore un nouveau sujet de jalousie. Le même inconnu conduisit la chose avec la mère, qui n’en put avoir d’autres éclaircissemens, sinon qu’il avoit un ordre exprès de se taire, & que le temps lui découvriroit ce qu’elle vouloit savoir. Cette réponse lui donna sujet de croire qu’un amant caché vouloit gagner le cœur de sa fille par ces libéralités, avant qu’il se déclarât ouvertement, & la demoiselle, qui croyoit la même chose ; s’applaudissoit en secret de ce prétendu triomphe. Il arriva une aventure qui les confirma dans cette pensée.

Raphane les ayant menées peu de temps après à une maison des environs de Jérusalem, qu’elles l’avoient prié de leur faire voir, à leur retour de la promenade qu’elles firent dans le jardin de cette maison, elles trouvèrent dans un salon magnifique une collation servie d’une manière fort propre. Elles ne doutèrent point qu’elles ne la dussent aux ordres de Raphane ; mais le chagrin qui l’empêcha de manger, leur ayant fait voir qu’elles se trompoient, on demande à celui qui avoit le soin de cette maison, d’où pouvoit venir la fête, & l’on devina, par sa réponse, qu’elle avoit été ordonnée par celui-là même qui avoit fait les présens. Raphane fit de longues plaintes à la demoiselle de l’insulte qu’elle souffroit qu’on lui fît, & menaça de rompre avec elle, si on lui faisoit plus longtemps mystère d’une intrigue qu’il voyoit bien qu’on se plaisoit à entretenir. Elle lui jura cent fois qu’elle n’en savoit que ce qu’il savoit lui-même, étant aussi surpise que lui de tout ce qu’elle voyoit. Comme il jugea bien qu’il ne seroit pas possible de se déguiser toujours, il résista à la jalousie dont il étoit tourmenté, & observa jusqu’aux moindres choses qui pouvoient contribuer à lui faire découvrir le rival qui se cachoit. Ses inquiétudes furent violentes, & il les sentit augmenter beaucoup un soir, qu’ayant soupé chez la demoiselle, un concert de violons & de hautbois vint la divertir sous ses fenêtres. Le concert fut accompagné d’un air qu’on chanta, fort rempli de passion ; ce qui mit Raphane dans un nouveau trouble, qui le fit sortir tout en colère, protestant qu’il se guériroit de sa passion. La demoiselle, après avoir tâché inutilement de l’appaiser, craignit d’autant moins son changement, qu’elle étoit persuadée que l’amant qui ne se déclaroit point, ne cherchoit qu’à l’éloigner, afin de prendre sa place. Cependant Raphane, qui avoit l’esprit entièrement occupé de son aventure, fut extrêmement surpris, lorsqu’il reçut un billet par lequel une femme lui faisoit savoir que tout ce qu’il imputoit à un rival, avoit été fait pour lui ; que l’on avoit fait meubler exprès un appartement, afin qu’il eût le plaisir de se voir dans un lieu propre ; que la fête dont il s’étoit plaint n’avoit nul rapport à la demoiselle, & que la chanson qui l’avoit rendu jaloux, lui marquoit les sentimens qu’une dame avoit pour lui ; que cette dame méritoit peut-être bien son entier attachement, qui ne feroit jamais tort à ce qu’il devoit d’ailleurs, par une obligation indispensable, & qu’il ne devoit point prétendre qu’elle se résolût à se déclarer, tant qu’on le verroit dans l’engagement qu’il avoit pris.

Raphane ayant relu plusieurs fois la lettre, fit cent questions à celui qui en étoit le porteur, & n’ayant pu tirer autre chose, sinon qu’on attendoit sa réponse, il se sentit entraîné, par un mouvement secret, à suivre cette aventure. Il promit, pour première marque de reconnoissance, de n’aller plus que de temps en temps chez la demoiselle, & seulement pour jouir du plaisir de voir ses espérances trompées, lorsque les soins qu’elle croyoit lui être rendus par un amant inconnu, cesseroient entièrement. La correspondance se forma par lettres, d’une manière très-vive. Il y avoit un tour d’esprit délicat dans toutes celles que l’on apportoit à Raphane ; & comme on lui déclaroit qu’on n’aspiroit avec lui qu’à une liaison étroite de cœur, qui n’auroit jamais de suite qu’on pût condamner, on ne faisoit point difficulté de l’assurer d’une tendresse éternelle, & de s’expliquer sur cette assurance dans les termes les plus forts : mais la dame s’obstinoit à demeurer invisible, & il sembloit lui suffire qu’elle lui apprît qu’il étoit aimé. Elle lui demandoit quelquefois si la demoiselle recevoit encore des soins de son amant inconnu. Il en parloit lui-même à la demoiselle, qui tantôt lui répondoit qu’elle avoit renoncé à ce commerce, pour lui ôter tout sujet de jalousie, & qui lui disoit une autre fois qu’elle conduisoit les choses avec le mystère qui lui convenoit, & qu’il ne tenoit qu’à elle qu’elles n’éclatassent.

Raphane qui voyoit de l’artifice dans cette diversité de réponses, & qui se persuada que les visites qu’il continuoit à lui rendre, empêchoient la dame inconnue de se découvrir, rompit entièrement cette intrigue, & ne chercha plus qu’à mériter qu’on le voulût éclaircir sur sa nouvelle conquête. Il pressa pourtant inutilement pour l’obtenir. La dame lui répondit, que bien qu’elle fût ravie de le voir tiré d’un engagement qui lui faisoit honte, elle ne pouvoit se résoudre qu’avec peine à lui déclarer qui elle étoit ; qu’elle se croyoit néanmoins assez bien faite, pour ne pas craindre de blesser ses yeux ; mais que ne cherchant que l’union de l’esprit, des raisons particulières & importantes pour elle, l’obligeoient à se cacher encore quelques temps. Pendant qu’elle s’obstinoit à laisser Raphane dans l’inquiétude, le jour de la naissance de celui-ci étant arrivé ; il reçut de la dame un bouquet, dont la richesse égaloit la galanterie & le bon goût. Toutes les choses qu’elle avoit faites pour lui, lui donnant lieu de penser qu’elles venoient d’une femme d’un rang distingué, & qui étoit en état de faire de la dépense, il forma différentes conjectures, & ne sachant à laquelle s’arrêter, il consulta un de ses amis sur l’embarras où il se trouvoit. Il expliqua son aventure dans toutes les circonstances, lui montra les lettres qu’il avoit reçues, & lui nomma plusieurs dames sur qui ses soupçons étoient tombés. Son ami qui étoit sage, rêva long-temps sur la chose, & après lui avoir dit que toutes les femmes que la passion entraîne, n’en sont point assez maîtresses pour se posséder, autant que faisoit celle qui avoit commencé à lui donner des marques de la sienne, dans le temps même qu’elle le voyoit dans un autre attachement, sans lui avoir demandé aucun sacrifice pour le prix du cœur qu’il vouloit lui donner, il conclut qu’il falloit absolument que ce fût sa propre femme qui jouât ce personnage. Il lui fit examiner qu’étant d’une humeur fort douce, pleine de sagesse, & l’ayant toujours aimé fort tendrement, malgré l’infidélité qu’il lui avoit faite, & dont elle avoit cessé de lui parler, dès qu’elle avoit reconnu que ses remontrances l’aigrissoient, il n’y avoit qu’elle seule qui pût être capable d’envoyer des meubles pour rendre propre un appartement où il passoit la plupart des jours.

Raphane trouva les réflexions de son ami très-justes. Il s’en senti frappé tout-à-coup, & rappelant plusieurs choses qui étoient entièrement du caractère de sa femme dans le véritable amour qu’elle avoit pour lui, il ne chercha plus ailleurs la dame qui ne vouloit point se faire connoître. Dès ce jour-là même, il alla lui dire qu’il vouloit lui faire un fort beau présent, & lui ayant montré le riche bouquet qu’on lui avoit envoyé le jour de la fête de sa naissance, il la vit assez déconcertée pour demeurer convaincu que ce beau bouquet venoit d’elle. Il l’embrassa avec toute la tendresse que méritoit une femme qui s’étoit uniquement appliquée à ne le point perdre de vue dans ses égarmemens, & après qu’il l’eut assurée cent fois qu’il n’aimeroit jamais qu’elle, elle demeura d’accord de l’innocent artifice dont elle s’étoit servie pour amortir son injuste passion, ce qu’elle étoit résolue de continuer sans lui faire aucun reproche, tant qu’il seroit demeuré dans le malheureux entêtement dont sa patience l’avoit retiré.

L’exemple d’Amazonte doit servir d’instruction aux femmes qui souhaitent de regagner l’amour de leur mari ; car comme l’on ne prend point de lièvres au bruit du tambour, ni des mouches avec du vinaigre, on ne ramène point un cœur avec des plaintes, des murmures, & des éclats continuels. Ce procédé n’est en usage que parmi les femmes du commun, qui n’ont point assez d’esprit ni d’agrément pour se faire aimer. Peu de chose fait naître l’amour, & peu de chose le fait perdre. Ce dieu ne veut point être contraint, il est libre, les duretés ne sont pas de son goût, & ce n’est qu’avec des manières nobles & délicates qu’on peut se le rendre favorable. Circé la reine de Sparte, celle d’Égypte, & tant d’autres ne se seroient pas fait aimer, si elles n’avoient suivi cette maxime. Que la douceur a de charmes ! Ceux qui la pratiquent ne s’en repentent jamais ; & s’il font des conquêtes, cette même douceur les conserve, & a le pouvoir de ramener les esprits que l’inconstance a écartés de leur devoir.

Fin des voyages & aventures des trois princes de Serendip.