Compère Lapin et Compère Bouc - Conte de Tradition Orale

Aux temps de jadis, compère Lapin et compère Bouc voulant se marier faisaient la cour à la fille d’un gros propriétaire. La demoiselle leur dit comme ça :

— J’aime mieux épouser compère Bouc que compère Lapin parce que compère Lapin a la queue trop courte!

Compère Bouc voulut montrer à compère Lapin et à tout le monde que la demoiselle le préférait à compère Lapin. Il organisa donc une grande bamboula dans la maison de la demoiselle. Quand il eut envoyé toutes ses invitations, il courut chez Compère Lapin.

— Compère Lapin, je vais donner un grand bal le samedi qui vient. Toutes les filles savent que tu es grand musicien; je viens te dire de ne pas manquer d’arriver avec ton violon calebasse.

Le vendredi de bon matin, compère Tayaut (Renard) passait près de la cabane de compère Lapin.

— Compère Lapin, j’ai quelque chose à te dire; n’en parle à personne parce que les affaires de mouton ne regardent pas les chèvres et il pourrait m’en arriver malheur. Mademoiselle a dit qu’elle aurait bien voulu se marier avec toi, mais que tu avais la queue trop courte et son papa lui a dit qu’elle ferait mieux de prendre compère Bouc parce qu’il était plus gros monsieur que toi.

— Merci de ce que tu me dis, compère Renard, je n’en parlerai à 
personne.

Compère Renard continua son chemin. Compère Lapin ouvrit son armoire, prit son joli chapeau, sa culotte du dimanche. Il s’habilla bien faraud, puis il se rendit à la maison du gros propriétaire.

Mademoiselle lui dit :

— Compère Lapin, ne manquez pas de venir demain soir avec votre violon calebasse pour jouer un joli rigodon.
— N’ayez pas peur, mademoiselle, je viendrai assurément. Mais je puis venir à pied. Compère Bouc qui fait son malin était le cheval de mon grand’père. Je monterai aussi sur lui. Vous verrez cela.

Mademoiselle resta la bouche toute grande ouverte tant elle était 
surprise. Vers midi, compère Bouc passa près de la cabane de Compère Lapin et le vit qui mangeait des gombos.

— Eh bien, compère Lapin, tu t’apprêtes pour ce soir.
— Oui compère Bouc, je suis aise de te voir pour te dire de venir me prendre, nous irons ensemble.

Au soleil couché, compère Lapin vit arriver compère Bouc; il se jette aussitôt dans son lit. Compère Bouc arrive tout près et entend Lapin qui criait: Bon Dieu Seigneur, Vierge Marie je vais mourir!

Compère Bouc cogne à la porte: Pan! Pan! La mère de Lapin vient ouvrir.

— M. Bouc, mon pauvre garçon a mangé trop de gombos; il a la colique.

Compère Bouc se dit comme ça:

— Si compère Lapin ne vient pas tout sera perdu; il faut que je l’emmène. Il rentre dans la cabane et il trouve compère Lapin qui se tord dans le lit.
— Compère Lapin, je t’ai déjà dit qu’il n’y avait pas de bamboula possible sans toi. Si tu veux, je te porterai sur mon dos, la moitié du chemin.
— Non, non! compère, tu me secouerais trop.
— Je t’assure que je ne courrai pas tout le temps.
— Soit, essayons, si tu veux me laisser te mettre une bride pour t’empêcher de courir trop vite.
— Mets vite, compère et partons?

Compère Lapin arrange sa bride qui était faite d’excellente peau de crocodile.

— Compère bouc, je ne pourrai pas rester sur ton dos si tu ne me 
laisses pas mettre une selle. Mets vite et courons!

Compère Lapin sangle bien la selle et il prend ses éperons, avec son fouet.

— Que veux-tu faire avec ça, compère Lapin!
— C’est pour chasser les mouches avec les taons qui voudraient te piquer!

Compère Lapin monte sur la selle et les voilà partis. A mi-chemin compère Bouc trotte un peu. Lapin fait semblant de crier:

«Aïe! Aïe! compère Bouc, tu m’avais promis de ne pas courir.»

La maison de la fille était de l’autre côté de la rivière; compère Bouc porta Lapin jusqu’auprès du pont. Arrivé là, Bouc voulut s’arrêter; Lapin lui dit :

— Je t’en prie, compère, porte-moi de l’autre côté; je me sens mieux, mais je ne puis marcher encore.

Arrivés au bout du pont, compère Bouc dit à compère Lapin:

— Descends vite avant qu’on nous voie!
— Non, mon compère, j’ai un trop bon cheval pour courir à pied.

Et compère Lapin enfonça ses éperons dans les côtes du Bouc et le frappa du fouet: paô, paô, paô!

La pauvre compère Bouc souffrait tant qu’il ne savait plus que devenir. Il galopa droit devant lui et il arriva devant la maison du gros propriétaire. Compère Lapin saute sur la galerie où la fiancée l’attendait avec compère Bouc. Compère Lapin dit au domestique: va vite enfermer mon vieux cheval à l’écurie et prends bien garde qu’il ne se sauve. Compère Bouc était si honteux qu’il ne trouva rien à dire. Compère Lapin envoya chercher son violon calebasse et l’on dansa rigodon jusqu'à minuit. Puis il mangea du gombo avec du riz jusqu’à ce qu’il eût le ventre plein.

— Le souper fini, il envoya un domestique porter une assiette de gombo pour son vieux cheval.

Compère Bouc était caché derrière la porte de l’écurie. Le domestique arrive, regarde, ne voit pas Bouc. Il ouvra la porte. Crac! Bouc saute dehors et galope jusqu’à la rivière; il trouve Compère Renard et lui conte son malheur.

— Compère Renard, il faut m’aider à attraper compère Lapin.
— Je suis bien fâché, compère Bouc, mais je ne puis rien, j’ai fait amitié avec compère Lapin. Compère Bouc prend dans un sac son argent blanc, le jette sur le sable, gling! gling!
— Compère Renard, tout cela pour toi si tu attrapes compère Lapin.
— Tu es un meilleur ami que lui je t’amènerai compère Lapin avant le jour.

Compère Renard court se cacher dans l’herbe près de la rivière où devait passer Lapin. Quand Lapin quitte le bal, le domestique lui dit que le cheval s’est sauvé. Compère Lapin dresse ses grandes oreilles: Attention à ma peau!

Il part, mais il jette les yeux de tous côtés, devant, derrière. Arrivé au pont, il voit l’herbe remuer. Houp là! il se sauve, compère Renard derrière lui, iahou! iahou! Quand Lapin voit Renard trop près, il saute dans un trou.

Compère Oie, qui se baignait dans la rivière vint à passer. Compère Renard dit:

— Je t'en prie, guette compère Lapin, je vais chercher un tison de feu.

Compère Renard s'éloigne; compère Oie garde le trou. Compère Lapin lui dit:

— Tu aimes beaucoup les colimaçons?
— Quack! Quack! je les aime.
— Eh bien ! le trou est plein de colimaçons.
— Quack! Quack! laisse-moi voir! 

Il lève la tête et compère Lapin lui crève les yeux avec un bâton.

— Quack! Quack! Tu m'éborgnes, je ne vois plus!

Compère Lapin s'élance et se sauve. Compère Renard arrive avec du feu.

— Compère Renard, je suis fâché de vous dire que Lapin s'est sauvé.

Compère Renard fut si en colère, qu'il mordit la queue de compère Oie qui s'envole et laisse sa queue dans la gueule du Renard.

Compère Renard va retrouver compère Bouc. Compère Bouc dit alors à compère Renard: Il faut l'attraper. Demain fais-lui dire que 
je suis mort et qu'il vienne à mon enterrement. Le lendemain, compère Lapin apprend que Compère Bouc a tant couru qu'il a attrapé une pleurésie et qu'il est mort. Il part et voit du monde à la cabane de compère Bouc. Il passe derrière, regarde par la fenêtre, et voit Bouc étendu sur la table.

— Vous dites que compère Bouc est mort! Les morts font toujours une grimace, et je ne vois pas de grimace sur sa figure.

Compère Bouc l'entend et tout de suite fait une grimace! Compère Lapin reprend:

— Les gens morts ne font plus de grimaces!

Puis il se sauva et compère Renard ne l'attrapa jamais.