Papillonne - Conte de Henry de Gorsse wiki

Ah ! ça ma fille, s'écria maître Globulus, en piquant sur un bouchon de liège un magnifique papillon encore vivant, n'auras-tu pas bientôt fini de pleurnicher ainsi toute seule, dans ton coin ?...

Celle à qui s'adressait cette petite admonestation paternelle n'était autre que Myrtille, une adorable fillette d'une dizaine d'années, dont les yeux clairs et bleus comme un matin d'avril, laissaient, malgré les larmes qui les noyaient, apparaître un regard plein de douleur et de bonté.

Les remontrances de son père ne firent qu'accroître le chagrin de l'enfant, et de gros sanglots la secouèrent des pieds à la tête.

« Oh ! père, père, s'écria-t-elle, se peut-il, vous qui êtes si bon pour moi, que vous soyez aussi cruel pour ces inoffensives petites bêtes que sont les papillons ?... Se peut-il que vous vous plaisiez à les martyriser ainsi, sous prétexte d'en enrichir votre collection ?... »

Maître Globulus, qui était un naturaliste enragé, haussa les épaules et éclata de rire.

« Voyons, ma fille, dit-il, comment pourrais-je étudier les papillons, si je n'en attrapais point, et si je ne les collectionnais ensuite, de façon à les comparer entre eux ?... Je t'en prie, mon enfant, calme cet excès de sensibilité, et prouve-moi, en te montrant plus courageuse, que tu es digne d'être la fille du grand savant que je suis !... »

Et, ce disant, l'inlassable collectionneur aligna, dans une des nombreuses vitrines qui l'entouraient, le bouchon sur lequel le beau papillon agonisait lentement, sans même pouvoir se débattre, car ses ailes fragiles, pour éviter d'irréparables brisures, avaient été, comme son corps, transpercées et immobilisées par de longues épingles.

C'est à peine maintenant si on pouvait s'apercevoir, aux battements angoissés de ses minuscules antennes, que le joli petit insecte respirait encore !... Quelques secondes de plus, d'ailleurs, et il exhalait, en un dernier souffle, tout le parfum subtil et pénétrant des dernières fleurs butinées !...

Myrtille ne put supporter cette vue, et, se cachant les yeux de ses deux mains, elle s'enfuit, éperdue, à travers la campagne. Elle courut ainsi, d'une seule haleine, jusqu'au moment où, épuisée par cette course, elle se laissa tomber, à l'entrée d'un petit bois, au pied d'un chêne séculaire.

Lorsqu'elle releva la tête, une jeune femme, d'une beauté merveilleuse, se trouvait devant elle. Sa chevelure semblait faite des rayons du soleil, et la robe légère qui la drapait, de toutes les couleurs insaisissables de l'arc-en-ciel.

La fillette ne put réprime un cri de surprise, en apercevant la belle inconnue, mais son étonnement fut plus grand encore, lorsque celle-ci se pencha vers elle et lui demanda, d'une voix pleine de douceur, la cause de son chagrin.

« Je pleure, répond Myrtille, parce que je pense à tous les jolis papillons que mon père fait si cruellement souffrir ! »

La belle dame sourit :

« Mon enfant, fit-elle, je vois avec joie que tu as bon coeur, et je veux te récompenser, pour ta gentillesse et pour ta bonté !... Fais un voeu, exprime un souhait, et ce voeu, ce souhait, sera aussitôt exaucé !...
- Qui êtes-vous donc pour me parler ainsi ? demanda Myrtille tout étonnée.
- Que t'importe mon nom ! répondit la dame. Sache seulement que je suis une fée, et, ce qui vaut mieux, une bonne fée !... »

Cette histoire se passait en effet - le conteur avait oublié de le dire - à cette époque, incertaine et charmante, où les enfants, suivant qu'ils avaient été sages ou méchants, rencontraient sur leur chemin de bonnes ou mauvaises fées !...

Myrtille réfléchit donc quelques secondes à ce qu'elle allait demander, et, le visage éclairé par le plus gracieux sourire :

« Je voudrais, dit-elle, que les papillons qui se trouvent dans les collections de mon père soient tous rendus à la vie et à la liberté !
- Rien ne m'est plus facile que de satisfaire ton généreux désir !... répondit la fée. Tu n'as qu'à rentrer chez toi, et, après avoir ouvert toutes grandes les portes et les fenêtres de la maison, à chanter trois fois : « Papillon vole !... » Les papillons ressusciteront aussitôt à ton ordre et s'envoleront comme par enchantement.
- Oh ! merci, bonne fée, merci ! » s'écria joyeusement Myrtille.

Et, sans même attendre que la belle dame eût disparu dans les profondeurs sombres et verdoyantes de la forêt, elle rentra chez elle, en courant.

On pense si Myrtille avait hâte de suivre le conseil que lui avait donné la fée !... Dans sa joie, elle ne réfléchissait pas au chagrin qu'elle allait causer à son père, fervent collectionneur, en le privant ainsi de ses papillons.

Maître Globulus, lorsque sa fille franchit le seuil de la maison, était justemetn en train de mettre de l'ordre dans sa collection, et il avait ouvert toute la série de vitrines où s'étalaient, ailes contre ailes, les beaux papillons morts.

La fillette, sans avoir l'air de rien, en fit immédiatement autant des fenêtres et des portes ; après quoi, le coeur tremblant d'émotion, elle se réfugia dans un coin de la pièce, et chanta trois fois, comme il était convenu, mais à mi-voix :

« Papillon vole !... Papillon vole !... Papillon vole !... »

Aussitôt, renaissant tout à coup à la vie et échappant comme par miracle aux épingles qui les clouaient, les papillons s'envolèrent de toutes parts, en un essaim multicolore, et ce fut dans la chambre comme une joyeuse ronde diaprée, comme une merveilleuse farandole aérienne de pierreries vivantes... Sous les rayons du soleil qui irisaient leurs ailes, les papillons zigzaguaient et tourbillonnaient, tout heureux, après un aussi long emprisonnement, de reconquérir soudain leur liberté...

« Mes papillons !... Mes papillons !... » s'écriait maître Globulus, suffoqué par la fureur et l'émotion, en voyant ainsi les plus belles pièces de sa collection lui échapper les unes après les autres.

Mais les papillons avaient autre chose à faire qu'à écouter les appels effarés de celui qui avait été leur bourreau, et, par les fenêtres et les portes ouvertes, ils s'empressèrent de prendre leur vol et de gagner la campagne, endormie sous les chauds rayons du soleil d'été.

Cette minute-là fut une minute inoubliable de bonheur pour la jolie petite Myrtille, qui était toute fière, sinon d'avoir joué un tour à son papa, du moins d'avoir accompli, sans intérêt, une bonne action.

Quant aux papillons, pour prouver leur reconnaissance à celle qui les avait sauvés, ils prirent, à partir de ce jour, la gracieuse habitude de lui faire escorte, au cours de ses promenades champêtres. Du plus loins qu'ils apercevaient l'enfant, ils accouraient vers elle avec mille grâces câlines, et rien n'était alors plus joli que de voir Myrtille, épanouie par la joie, courir à travers les pelouses fleuries, au milieu de cet essaim voltigeant.

« Papillon vole !... Papillon !... » répétait-elle en gambadant.

Et les quelques papillons, qui s'étaient oubliés sur le calice des fleurs, prenaient à leur tour leur vol, pour faire à leur petite reine un plus nombreux cortège.

On appela plus dès lors Myrtille, dans tout le pays, que du joli surnom de Papillonne.

Mais les mauvais jours ne tardèrent pas à arriver, et aux beaux mois d'été succédèrent bientôt les mois, plus âpres, de l'automne.

Papillonne, puisqu'elle se nommait maintenant ainsi, n'en continuait pas moins ses promenades à travers champs et forêts, mais elle constatait, avec un gros serrement de coeur, que le nombre de papillons de son escorte diminuait de jour en jour.

« Est-ce que, par hasard, les papillons mourraient aux approches de l'hiver ? » se demanda-t-elle alors, toute songeuse.

Et elle fut bien forcée de répondre : oui, à la question qu'elle s'était posée, car, maintenant que l'hiver était venu et qu'il n'y avait plus de feuilles aux branches et de fleurs dans les prairies, il n'y avait plus de jolis papillons, pour danser gaiement autour de leur petite protectrice.

Or, un après-midi que Myrtille, après avoir erré longuement à travers la campagne désolée, s'était un peu trop éloignée de la maison paternelle, la neige se mit tout à coup à tomber autour d'elle à gros flocons.

« Ah ! mon Dieu ! s'écria la petite fille, aveuglée par la tourmente, je me suis perdue ! »

Et, de fait, la rafale, était si violente, et les flocons de neige s'abattaient en tourbillons si épais, qu'il devint bientôt tout à fait impossible à Myrtille de reconnaître la direction à prendre pour rentrer chez son père.

La pauvre enfant, se laissant tomber au bord du chemin, se mit à fondre en larmes, et elle était là à sangloter, depuis quelques seconde, lorsque, tout à coup, la bonne fée qui lui avait déjà apparu une fois, lui apparut de nouveau parmi la tourmente de neige.

« Petite Papillonne, dit la fée, sèche tes yeux et ne pleure plus !... Tu as accompli, il y a quelques mois une bonne action, et, comme toute bonne action est à son heure récompensée, la tienne va l'être aujourd'hui ! Tu as sauvé les papillons ! Les papillons ne l'ont pas oublié : appelle-les, et ils s'empresseront d'accourir à ton secours !... »

Cela dit, la bonne fée disparut, tandis que Myrtille, comme aux beaux jours de l'été, se mit à chanter :

« Papillon vole !... Papillon vole !... Papillon vole !... »

Aussitôt, un prodige merveilleux se produisit. Le soleil apparut tout à coup dans le ciel, et les flocons qui tourbillonnaient se transformèrent immédiatement en de merveilleux papillons éblouissants de couleurs. Myrtille ne réprimer un cri de surprise et se redressa vivement. Mais déjà les papillons s'étaient tous élancés dans la même direction, indiquant à la fillette le chemin qu'elle avait à suivre pour rentrer chez elle.

Les papillons accompagnèrent leur petite reine jusqu'au seuil de sa maison, et lorsqu'ils se furent acquittés de la dette de reconnaissance qu'ils avaient contractéd envers elle, ils reprirent leur vol vers le ciel, redevenu gris, et ils s'y transformèrent de nouveau en flocons de neige.