La Jeune Veuve - Fable de La Fontaine wiki

La perte d'un Époux ne va point sans soupirs,
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la Tristesse s'envole ;
               Le Temps ramène les plaisirs.
               Entre la Veuve d'une année
               Et la Veuve d'une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
               Que ce fût la même personne :
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ;
C'est toujours même note et pareil entretien :
               On dit qu'on est inconsolable ;
               On le dit, mais il n'en est rien,
               Comme on verra par cette fable,
               Ou plutôt par la vérité.
               L'Époux d'une jeune Beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa Femme
Lui criait :  Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. 
               Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un Père, homme prudent et sage :
               Il laissa le torrent couler,
               A la fin, pour la consoler,
Ma fille, luit dit-il, c'est trop verser de larmes :
Qu'a besoin le Défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
               Je ne dis pas que tout à l'heure
               Une condition meilleure
               Change en des noces ces transports ;
Mais après certain temps souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
        Que le Défunt. Ah ! dit-elle aussitôt,
               Un cloître est l'époux qu'il me faut. 
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
               Un mois de la sorte se passe.
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure.
               Le deuil enfin sert de parure,
               En attendant d'autres atours.
               Toute la bande des Amours
Revient au colombier ; les Jeux, les Ris, la Danse,
               Ont aussi leur tour à la fin :
               On se plonge soir et matin
               Dans la fontaine de Jouvence.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comment il ne parlait de rien à notre Belle :
               Où donc est le jeune mari
               Que vous m'avez promis ? dit-elle.