Le dieu tigre - Conte de Tradition Orale

Il faut savoir qu’en Malaisie, souvent, les tigres sont des êtres humains qui prennent la forme de l’animal pour atteindre leurs fins. On les appelle les hommes-tigres. Ils ont leurs propres villages et la charpente de leur maison est faite d'ossements humains, les murs tapissés avec de la peau humaine et le toit couvert avec des chevelures de femmes.

Un jour, on a demandé à des Malais comment ils pouvaient prouver que l'homme devenait réellement un tigre. Ils ont cité le cas d'un villageois qui avait des dents aurifiées, plombées et recouvertes avec de l’or, et qui avait été tué accidentellement pendant qu'il était sous sa forme de tigre : on a découvert, dans la gueule du félin, la même aurification, les mêmes plombages, que le villageois avait.

Hadji Abdallah, quant à lui, a été pris nu dans un piège à tigres, et il avait dû racheter sa liberté en payant le prix des buffles qu’il avait tués pendant qu'il rôdait sous forme du félin.

On a entendu parler d'innombrables paysans qui, après s'être repus de volailles tandis qu'ils étaient sous forme de tigres, ont vomi des plumes en reprenant leur apparence humaine.

On reconnaît ici la croyance du sorcier qui prend la forme d'un animal, celle du loup-garou. Au pays de Québec, du temps de nos grands-pères, il était beaucoup question de loups-garous. Étaient ainsi changés les mauvais chrétiens qui n’avaient pas fait leur Pâques sept ans durant. Ils devenaient loups, mais aussi chiens ou porc.

En Malaisie, on ne choisit pas d’être loup-garou, on l’est de naissance ou par contagion. Un enfant le devient en mangeant les restes du riz de son père qui est loup-garou... Tout ce qui a été au contact de la salive d'un loup-garou transmet la contagion. On peut aussi être contaminé en appuyant la tête contre un morceau de bois où un loup-garou a posé la sienne.

Pendant que le loup-garou dort, son « intérieur », son démon quitte son corps, et rôde sous la forme d'un tigre, d’un singe ou même d'un crocodile en quête d'une proie...

On dit que chaque fois l’homme-crocodile fait une prise humaine il l’emporte aussitôt sous l'eau. Ou bien il l'étouffe dans la boue épaisse et molle du marécage, ou bien il coince sous une racine submergée afin de produire la noyade. Quand il juge qu'un temps suffisant s'est écoulé, il saisit le corps du noyé et le remonte à la surface. Là il invoque le Soleil, la Lune et les Étoiles, et il les prend à témoin que ce n’est pas lui le coupable, que c'est l'eau qui a provoqué la noyade.

Après avoir répété trois fois cette étrange cérémonie, le crocodile plonge sous l’eau et commence à préparer le cadavre pour son repas.

Voici encore une histoire encore bien surprenante :

Une nuit, pendant que son corps matériel était couché dans sa maison pour dormir, un loup-garou est entré chez un voisin, et a donné rendez-vous à la femme pour le lendemain. La femme qui dormait n’a rien entendu. Le mari était éveillé mais il n’a rien fait.

Le matin suivant, tous les hommes du village travaillaient ensemble à couvrir une maison. Les femmes étaient ailleurs ou faisaient la cuisine.

Après le premier repas, la femme en question, comme attirée irrésistiblement, s'en est allé vers la plantation de tabac où le loup-garou lui avait donné rendez-vous. Le mari l’a suivie, et s’est caché. Le loup-garou est arrivé, sous la forme d’un tigre, en même temps que son corps d’homme continuait à travailler sur le toit.

Au moment critique, le mari s’est montré et a frappé avec un bâton le loup-garou qui aussitôt s’est transformé en une feuille d'arbre. Le mari s'en est saisie, l'a enfoncée dans le creux d'un bambou et a bouché les deux bouts.

Puis il a réveillé sa femme qui s’était évanouie, et ils sont retournés au village, en emportant le bambou qui contenait le loup-garou.

Les hommes travaillaient toujours sur le toit. Le mari a alors mis le bambou dans le feu qui servait à faire cuire le riz. Aussitôt, un homme sur le toit s’est mis à crier.

Le mari a retiré le bambou du feu ; l’homme s’est calmé. Le mari a reconnu l’homme loup-garoup. Il a remis le bambou au feu et l'homme sur le toit s’est remis à hurler de douleur.

Mais le bambou est resté sur le feu et quand il a été en flammes, devinez quoi ?… L’homme loup-garou est tombé du toit, raide mort !

Moi, je ne crois pas au loup-garou, mais si j’avais été dans ce village-là, cette journée-là, sûrement qui j’y aurais cru. Un peu.