Le mont chauve (Simeliberg) - Conte de Wilhelm et Jacob Grimm wiki

Il y avait une fois deux frères, dont l'un était riche et l'autre pauvre. Mais le riche ne donnait rien au pauvre, et ce dernier était réduit à vendre des graines pour soutenir sa misérable vie: encore son commerce allait-il si mal, que le malheureux n'avait souvent pas de pain pour nourrir sa femme et ses enfants. Un jour qu'il traversait la forêt avec sa brouette, il aperçut non loin de lui une haute montagne sans herbes ni feuillages, et comme elle frappait ses yeux pour la première fois, il s'arrêta afin de la contempler tout à son aise. Tandis qu'il était ainsi plongé dans l'admiration, il vit venir de son côté douze hommes d'une taille gigantesque et d'un aspect effrayant. Les prenant pour des voleurs, il cacha sa brouette dans un taillis, monta en haut d'un arbre et attendit ce qui allait arriver. Cependant les douze hommes s'arrêtèrent en face du mont, et se mirent à crier:

— Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.

Aussitôt le mont se partagea en deux parties par le milieu; les douze hommes pénétrèrent par cette ouverture, et quand ils furent entrés, le mont se referma. Quelques instants après, il se rouvrit; les douze hommes sortirent, portant sur leurs dos de lourds sacs, et dès qu'ils furent arrivés à la place où ils s'étaient d'abord arrêtés, ils s'écrièrent::

— Mont Semsi, mont Semsi, ferme-toi.

A ces mots, les deux parties du mont se rejoignirent sans plus laisser la moindre trace de leur ouverture, et les douze hommes s'éloignèrent. Quand notre pauvre diable les eut perdus de vue complètement, il se laissa couler en bas de son arbre, impatient de savoir ce que renfermait l'intérieur du mont. En conséquence, il avança jusque vis-à-vis du mont, et cria:

— Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.

Et le mont s'ouvrit. Alors il pénétra dans l'immense caverne : car le mont tout entier ne formait à l'intérieur qu'une voûte pleine d'argent et d'or ; et alentour brillaient de gros tas de perles et de pierres précieuses. Le pauvre homme ne savait par où commencer, et s'il devait toucher à ces derniers trésors; il se décida à remplir d'or ses poches, sans porter la main aux perles et aux pierres précieuses. Lorsqu'il fut sorti de la caverne, il alla se poser en face du mont, et cria:

Mont Semsi, mont Semsi, referme-toi.

Le mont se referma en effet, et notre homme retourna au logis avec sa brouette. A partir de ce moment, il n'eut plus besoin de s'inquiéter de rien : son or lui permit d'acheter pour sa famille le pain nécessaire, et même du vin; il vécut en tout bien tout honneur, donnant aux pauvres et faisant du bien à tout le monde. Quand il fut à bout de son argent, il alla trouver son frère, lui emprunta un boisseau et retourna à la provision; mais cette fois encore il ne toucha pas aux perles et aux pierres précieuses. La troisième fois qu'il voulut se rendre dans la montagne, il vint encore prier son frère de lui prêter son boisseau. Celui-ci voyait depuis longtemps avec envie, le bien-être survenu dans la maison de son parent, et il se creusait la tête pour savoir la source d'une telle richesse, et à quelle fin son frère venait si souvent emprunter son boisseau. Il trouva un moyen de s'en assurer par la ruse. Il mit de la poix au fond du boisseau ; aussi, quand son frère le lui renvoya, y trouva-t-il un morceau d'or qui était resté collé à la poix. Aussitôt il courut chez son frère et lui dit:

— Qu'as-tu mesuré avec le boisseau?
— Du blé et de l'avoine, répondit ce dernier.

Alors le méchant riche lui montra le morceau d'or qu'il avait trouvé, et le menaça d'aller le dénoncer à la justice, s'il ne lui disait pas la vérité. Notre homme se mit à raconter la chose telle arrivée. En possession de ce secret précieux, le méchant riche s'empressa de faire disposer une voiture pour aller vers la forêt, avec le projet de rapporter bien d'autres trésors que n'avait fait son frère jusque-là. Arrivé en face du mont, il se mit à crier:

— Mont Semsi, mont Semsi, ouvre-toi.

Le mont s'ouvrit, et il entra dans la caverne. Quand il vit tant de richesses entassées sous ses yeux, il ne sut pas d'abord par quoi commencer; enfin il se décida à prendre des pierres précieuses, autant qu'il put en porter. Il se disposait à transporter ses trésors à l'extérieur de la montagne, mais comme son esprit et son cœur étaient pleins de la pensée de ces richesses, il n'y restait pas la plus petite place pour le nom de la montagne. Il se mit à crier:

— Mont Simeli, mont Simeli, ouvre-toi.

Mais ce n'était pas le vrai nom de la montagne: aussi ne bougea-t-elle pas, et ne la vit-il pas se rouvrir. L'inquiétude s'empara de lui, mais plus il s'enfonça dans ses réflexions, et plus ses pensées se brouillèrent.

Vers le soir, le mont s'ouvrit tout à coup, et les douze voleurs entrèrent dans la caverne; lorsqu'ils aperçurent notre homme, ils se prirent à rire en disant:

— Vous voilà pris enfin, bel oiseau; vous pensiez peut-être que nous n'avions pas remarqué que vous vous étiez introduit deux fois ici; pour le coup, nous vous tenons, et vous ne sortirez plus de la caverne.

Le mauvais riche eut beau dire que ce n'était pas lui, mais son frère; il eut beau demander grâce pour sa vie, les voleurs lui coupèrent la tête.