Abeille chez le roi des nains - Conte de Anatole France wiki

Abeille, fille de la duchesse des Clarides, s'est aventurée loin du château de sa mère. Elle s'est endormie au bord d'un lac, près du royaume des Nains. Les Nains l'ont emporté dans la montagne et l'on conduite devant leur roi.

- Roi Loc, lui dirent les Nains, nous t'amenons la belle enfant que nous avons trouvée : elle se nomme Abeille.
- Vous faites bien, dit le roi Loc. Elle vivra parmi nous comme le veut la coutume des nains.

Puis s'approchant d'Abeille :

- Abeille, lui dit-il, soyez la bienvenue.

Il lui parlait avec douceur, car il se sentait déjà de l'amitié pour elle. Il se haussa sur la pointe des pieds pour baiser la main qu'elle laissait pendre et il l'assura que non seulement il ne lui serait point fait de mal, mais encore qu'on la contenterait dans tous ses désirs, quand bien même elle souhaiterait des colliers, des miroirs, des laines de Cachemire et des soies de Chine.

- Je voudrais bien des souliers, répondit Abeille.

Alors le roi Loc frappa de sa lance un disque de bronze qui était suspendu à la paroi du rocher, et aussitôt l'on vit quelque chose venir du fond de la caverne en bondissant comme une balle...

C'était le chef des cordonniers.

- Truc, lui dit le roi, choisis dans nos magasins le cuir le plus souple, prends du drap d'or et d'argent, demande au gardien de mon trésor mille perles de la plus belle eau, et compose avec ce cuir, ces tissus et ces perles, une paire de souliers pour la jeune abeille.

A ces mots, Trucs se jeta aux pieds d'Abeille et il les mesura avec exactitude. Mais elle dit.

- Petit roi Loc, il faut me donner tout de suite les beaux souliers que tu m'as promis, et, quand je les aurai, je retournerai aux Clarides, vers ma mère.
- Vous aurez vos souliers, Abeille, répondit le roi Loc, vous les aurez pour vous promener dans la montagne et non pour retourner aux Clarides, car vous ne sortirez point de ce royaume, où vous apprendrez de beaux secrets qu'on n'a point devinés sur terre. Les Nains sont supérieurs aux hommes, et c'est pour votre bonheur que vous avez été recueillie par eux.
- C'est pour mon malheur, répondit Abeille, Petit roi Loc, donne-moi des sabots comme ceux des paysans et laisse-moi retourner aux Clarides.

Mais le roi Loc fit signe de tête pour exprimer que cela n'était pas possible. Alors Abeille joignit les mains et prit une voix caressante.

- Petit roi Loc, laisse-moi partir et je t'aimerai bien.
- Vous m'oublierez, Abeille, sur la terre lumineuse...

« Je ne puis vous ramener à votre mère, mais je lui enverrai un songe qui l'instruira sur votre sort, chère Abeille, et qui la consolera. »

- Petit roi Loc, répondit Abeille en souriant dans ses larmes, tu as une bonne idée, mais je vais te dire ce qu'il faudra faire. Il faudra envoyer, chaque nuit, à ma mère, un songe dans lequel elle me verra et m'envoyer à moi, chaque nuit, un songe dans lequel je verrai ma mère.

Le roi Loc promit de le faire. Et ce qui fut dit fut fait. Chaque nuit, Abeille vit sa mère, et, chaque nuit, la duchesse vit sa fille. Cela contentait un peu leur amour.