Du voleur qui voulut descendre sur un rayon de lune - Conte de Tradition Orale

Un filou avait formé le projet de voler un bourgeois de sa ville, homme fort riche. Pour cela il grimpa le soir sur le toit et il y attendit le moment où, tous les domestiques étant couchés, il pourrait sans danger se glisser dans la maison. Mais le maître du logis, quoique couché, l’avait aperçu à la clarté de la lune.

C’était un matois rusé, qui résolut de l’attraper. « Écoute, dit-il tout bas à sa femme, demande-moi par quel moyen j’ai acquis le bien que je possède. Je ferai des façons pour te le dire ; presse-moi beaucoup, insiste et ne me laisse pas reposer que je ne te l’aie avoué ; mais surtout parle haut et le plus haut que tu pourras. »

La femme, sans s’informer quel pouvait être le dessein de son mari, lui fit la question qu’il exigeait. Il répondit avec un ton de mystère que c’était là son secret ; qu’au reste il importait très peu à sa moitié de le savoir, et qu’elle ne devait songer qu’à jouir de l’aisance que lui avait procurée son industrie. Elle revint à la charge, selon ce qui lui était recommandé. Lui, de son côté, joua toujours la réserve. Enfin elle le pressa tant que, cédant en apparence à ses importunités, il avoua qu’il avait été voleur et que c’était ainsi qu’il s’était fait une fortune considérable. « Quoi, Sire ! s’écria la femme, vous avez été voleur, et l’on ne vous a jamais soupçonné ? — C’est que j’ai eu un maître habile, un maître tel qu’il n’en existera de longtemps. Il ne dérobait que la nuit ; mais au moyen de certaines paroles magiques dont il possédait le secret, il était sûr de voler sans risque. Voulait-il par hasard pénétrer quelque part ? il prononçait sept fois devant la lune le mot mystérieux et aussitôt un rayon de cet astre se détachant, il l’enfourchait et se trouvait porté sur le toit, car c’était toujours par le toit qu’il entrait. Voulait-il redescendre ? il répétait le mot magique, et s’élançait sur son rayon qui le reportait doucement à terre. J’ai hérité de son secret, puisqu’il faut vous l’avouer ; et, entre nous, je n’ai pas eu besoin de l’employer longtemps. — Je le crois sans peine, reprit la femme. Vous possédez là un trésor ; et si jamais j’ai quelque ami ou parent embarrassé pour vivre je veux lui en faire part. »

Elle supplia donc son mari de le lui apprendre. Il s’en défendit longtemps, se fit beaucoup prier, déclara qu’il voulait dormir, et convint enfin que le secret consistait à prononcer sept fois le mot seïl. Après cela il souhaita une bonne nuit à sa femme et feignit de ronfler.

Le voleur, qui n’avait pas perdu un mot de toute cette conversation, ne put résister à l’envie d’éprouver le charme. Après avoir sept fois répété seïl, il ouvre les bras et s’élance, mais il tombe à terre et se casse une cuisse.

Au bruit que fait sa chute, le bourgeois, feignant de se réveiller, crie d’un ton d’effroi : « Qui est là ? — Ah ! Sire, répond le maladroit, c’est un homme que seïl n’a pas servi aussi bien que vous. »

On alla le saisir aussitôt, et il fut livré aux juges qui, le lendemain, le firent pendre.