La foire aux vérités - Conte de Louis Hémon wiki

Le passage menait dans une cour étroite, une sorte de boyau tronqué qui comportait, de chaque côté, deux maisons basses aux façades moisies et, au fond, un hangar où quelques voitures à bras achevaient de se délabrer. La première porte dans le passage, en sortant de Brick Lane, donnait dans l’arrière-boutique de Petricus, le boulanger ; un peu plus loin s’ouvrait une seconde porte et une fenêtre, dont le milieu, défoncé, s’ornait d’un large pansement de papier gris. Au-dessus du papier se balançait une pancarte qui portait en lettres dorées les mots : « S. Gudelsky, Showmaker » ; au-dessous, une ligne de caractères hébreux et, plus bas encore, écrit à la craie d’une main inhabile : « Repairs done. » Deux paires de chaussures, usées mais reluisantes, une de chaque côté du carreau de papier, formaient l’étalage, et la porte toujours ouverte laissait voir les murs de plâtre écaillé de la boutique où le vieillard se courbait du matin au soir sur sa forme, maniant les chaussures à gestes hâtifs, essayant de racheter, à force d’application industrieuse, la faiblesse qui faisait trembler ses mains usées sur les outils et les morceaux de cuir.

La pièce était de deux pieds au-dessous du niveau du passage, d’où on descendait par trois marches de pierre ; elle était extraordinairement basse de plafond, mais assez grande pour que la lumière de l’unique bec de gaz ne pût l’éclairer qu’en partie. Il couvrait d’une lueur vive le crâne poli du vieillard, le raccourci de sa face jaune et ridée penchée sur son ouvrage, ses bras nus jusqu’aux coudes, maigres, où saillaient les veines gonflées ; il jetait aussi sa clarté cruelle sur la redingote pendue au mur : une vieille lévite râpée, tachée, d’une vétusté prodigieuse ; mais, deux pas plus loin, l’ombre commençait et elle couvrait à demi l’extrémité opposée où on ne distinguait qu’un vieux fauteuil de cuir qu’occupait une forme indécise, enveloppée presque entièrement dans des pièces d’étoffe dépareillées. Un examen plus attentif révélait que c’était une forme humaine, une forme lourde, où ne vivaient que deux yeux d’onyx ternis, un souffle bref, et une main qui voyageait paresseusement, mais sans relâche, entre le visage et un sac de papier placé sur un escabeau. On ne voyait tout cela qu’avec peine, mais les gens qui venaient dans cette boutique n’avaient pas besoin de voir ; ils savaient tous que la forme épaisse dans le fauteuil était Leah Gudelsky, qui achevait de mourir. Elle était monstrueusement grasse, d’une graisse qui bourrelait ses mains et tendait sur une figure énorme la peau couleur de cire, mais il était facile de voir que sa vie s’en allait. Cela se voyait à sa respiration faible et rapide, au cerne profond de ses yeux ternis, à la lassitude extrême que montrait chaque mouvement des mains monstrueuses.

Toutes les matrones de Brick Lane avaient dit, l’une après l’autre, d’un air entendu : « C’est une langueur, les médecins n’y comprennent rien ! » Le père Gudelsky et Leah elle-même avaient répété chaque fois : « Oui, c’est une langueur ! » et tous savaient que la fin ne pourrait tarder beaucoup. Il ne restait plus d’humain en elle que la passion des sucreries, et elle ne vivait guère que de cela. Chaque matin, son père allait faire, dans une boutique voisine, provision de fondants à trois pence la livre et de miettes de caramel balayées après la vente. Parfois, quelque voisine compatissante apportait son offrande dans un cornet de papier.

Puis, jusqu’au soir, le vieux cordonnier besognait sans répit, taillant, clouant, rognant le cuir, harcelant les chaussures calées entre ses genoux, appuyant chaque geste affairé d’un balancement du corps, d’une saccade brève, comme pour accélérer les mouvements trop lents de ses mains usées et, jusqu’au soir aussi, Leah suçait ses bonbons sans rien dire, comblant de sa masse déjà presque insensible le grand fauteuil de cuir, semblant toujours prêter l’oreille, attendre d’un moment à l’autre, en mâchonnant, l’appel qui devait venir.

Au dehors, à l’issue du passage obscur, c’était Brick Lane et l’angle de Thrasol Street. La première boutique sur la gauche était celle de Rappoport, le tailleur ; ensuite venaient Agelowitz, le charcutier ; Pomerantz, coiffeur et parfumeur, et Sunasky, dont la vitrine étalait des châles à prière et des pamphlets en hébreu. Un peu plus loin, Dean et Flower Street allongeait ses deux rangées de maisons sordides, où la foule des submergés de l’East End s’en allait chercher asile, moyennant quatre pence la nuit ; ceux qui n’avaient pu réunir cette somme erraient, au hasard des rues, en attendant l’aube, traînant entre Whitechapelet Hoxton leurs pieds meurtris et leur rêve confus d’un Éden où il y aurait un grand feu et des matelas pour s’étendre. Ils suivaient le trottoir en clochant, le dos rond, le coude au mur, laissant tomber dans les porches déserts des lambeaux de soliloques, suivant du même regard sournois et hostile les boutiques et les passants, toute cette autre portion de l’humanité qui avait mangé et savait où dormir ; et s’il pouvait y avoir des degrés dans leur malveillance jalouse, les mieux haïs devaient être ces gens, dont les noms si peu britanniques s’inscrivaient aux devantures des magasins, car ceux-là n’étaient certes pas des submergés. Hier encore, semblait-il, on les avait vus débarquer de la cale des vapeurs allemands ou russes, déguenillés et lamentables, couvant d’un œil anxieux les ballots et les caisses qui contenaient tout leur avoir ; et la seconde génération les trouvait solidement établis dans ces rues du Ghetto débordé, certains besogneux encore, d’autres déjà cossus, mais presque tous bien vêtus, gras et prolifiques, amis de l’ordre et respectueux des lois. Ils étaient chez eux dans Brick Lane : les magasins étalaient pour eux les denrées familières, les affiches même y parlaient leur langue ; c’étaient leurs jeunes gens qui, le travail fini, fumaient indolemment des cigarettes, accoudés au seuil des boutiques, et c’étaient leurs jeunes filles qui passaient par deux ou trois, dans leurs robes les plus neuves, pour le pèlerinage du vendredi soir, s’en allant vers l’ouest, chercher des rues mieux éclairées et plus belles, contempler les palais qui pourraient être un jour la demeure de leur race, choisir le campement des hordes du futur, des tribus nombreuses que promettaient leurs vastes hanches.

À deux pas de la rue, dans le sous-sol où le vieux cordonnier usait ses mains sur les durs souliers de pauvres, le futur n’était pas parmi les choses qui comptent : c’était le présent qui comptait, le présent qui renaissait avec le tic-tac de chaque seconde et contre lequel il fallait se débattre sans fin. Pour le vieillard, il représentait une alternative de travail maigrement payé et de repos précurseur de famine ; les prétentions exorbitantes des clients pauvres eux-mêmes, économes et durs aux autres, qui exigeaient pour très peu d’argent beaucoup de cuir et de dur labeur, terminé sans faute pour le lendemain, jour de sabbat ; et pour Leah chaque minute du présent représentait encore un peu de lumière et de souffle gagnés, un geste qui était un effort, et la sensation douce au palais du fondant qui faisait vivre une fois de plus les nerfs engourdis. Les coups de marteau sonnaient mat sur le cuir, pressés et rapides ; quand ils s’arrêtaient un instant, on n’entendait plus que le bruit lointain des passants dans Brick Lane, plus près le susurrement du gaz et le halètement faible qui venait de l’ombre ; et bientôt le tapotement repartait de plus belle, hâtif, affolé, de peur que le premier moment d’oisiveté ne fût pris pour un abandon, n’ouvrît la porte à toutes les choses irréparables qu’il importait de retarder encore un peu.

Il y eut au dehors un bruit de pas légers, presque furtifs : une ombre s’encadra dans la porte, descendit deux marches et s’arrêta sur la troisième, en pleine lumière et quand le tapotement du marteau se fut arrêté, une voix de femme, claire et douce, se fit entendre. Elle dit :

– Je viens à vous de la part de Christ, qui est mort pour nous.

Le père Gudelsky leva les yeux vers l’apparition, la regarda un instant, et se courba de nouveau sur son ouvrage. À chaque geste, il secouait un peu la tête avec un sourire faible de vieil homme plein d’expérience et les coups de marteau tombèrent plus drus et plus forts comme pour noyer l’écho des mots enfantins.

L’inconnue restait immobile sur le seuil, très droite, dans une attitude d’assurance paisible. Elle enveloppa du même regard la lumière et l’ombre, les murs écaillés et suintants, le sol malpropre, la silhouette cassée du vieillard, et fit offrande de cette misère et de sa piété à Celui qui l’envoyait. Sa voix s’éleva de nouveau, assurée et douce :

– Je viens à vous de la part de Christ, qui est mort pour nous.

Le cordonnier haussa les épaules d’un geste las et dit sans colère :

– Vous êtes sûre, que vous ne vous êtes pas trompée de rue ? Nous sommes tous des hérétiques par ici.

Elle répondit doucement :

– Il y a place pour tous dans la paix du Seigneur !

Il soupira un instant sans rien dire et mania le soulier qu’il venait d’achever : il le tenait tout près de son visage, pour bien voir, car sa vue n’était plus très bonne, et ses lèvres remuaient doucement. Peut-être se félicitait-il seulement d’une besogne bien faite ; peut-être était-ce une protestation timide contre les visites d’apôtres importuns. Cette silhouette haute et mince, en pleine lumière sur le seuil, le gênait. De l’évangéliste se dégageait un appel qui ne se laissait pas étouffer, une sorte d’alleluia de silence ; une foi sans bornes luisait dans ses yeux clairs, revêtait de dignité confiante ses traits encore enfantins. Elle se savait chargée d’un message irrésistible, porteuse du philtre qui guérit tous les maux, et semblait attendre d’un moment à l’autre un miracle certain.

Le respect de sa mission la tenait droite, presque immobile, de peur qu’un geste sans beauté ne vînt déparer son divin fardeau.

Elle parla de nouveau, d’une voix douce qui s’élevait à la fin de chaque phrase, comme sur le verset d’un psaume.

– À présent, dit-elle, vous êtes dans l’obscurité ; mais si vous venez au Christ vous serez dans la lumière, car c’est là qu’est la vérité.

Le vieillard posa l’outil qu’il tenait sur ses genoux, et se passa la main sur le front. Sous la lueur jaune du gaz, sa figure ridée avait une expression de simplicité ingénue, l’air d’attention naïve d’un homme qui cherche laborieusement à bien faire.

– Bien sûr ! dit-elle, la vérité ! bien sûr ! mais sait-on jamais ? C’est si difficile !

La jeune fille secoua la tête et répondit avec indulgence :

– Ce qui est difficile, c’est de quitter les voies de l’erreur ; mais si vous suivez le Christ, les voies sont aisées, car il a dit : « Mon joug est facile et mon fardeau est léger. Et il n’y a de mérite qu’en lui. »

Il soupira encore, choisit une chaussure dans le tas, et l’installant entre ses genoux, la regarda d’un air rêveur ; puis il se parla à lui-même, plissant le front et de temps à autre levant vers la lumière ses yeux candides.

– C’est ça, fit-il, bien sûr ! Nous sommes tous après la vérité ; mais c’est si difficile ! Il y en a de toutes sortes des vérités, des petites et des grandes, et il y a une vérité pour chacun, mais combien est-ce qu’elles durent ? Moi qui vous parle, j’ai vu la vérité face à face, comme vous, même plusieurs fois et, chaque fois, c’était une vérité différente ; mais j’ai vécu trop vieux et mes vérités sont mortes. Oui ! vous allez me dire qu’il n’y a qu’une vérité, la vôtre ; et que vous en êtes sûre ; mais moi aussi j’ai été sûr ; j’ai été sûr plusieurs fois !

Il se pencha un peu en avant, les mains sur ses genoux, et sur sa vieille figure jaune et plissée, passa une grimace de détresse touchante, la morsure d’une faim inapaisée qui se serait réveillée tout à coup.

– À Varsovie, fit-il, à Varsovie, j’étais sûr, et les vérités de là-bas sont plus fortes que celles d’ici. Celles d’ici n’ont pas tant d’importance après tout, elles peuvent attendre ; mais là-bas, il semblait que si tout n’était pas changé sans retard, le monde allait s’écrouler dans sa propre pourriture et qu’il y avait tant d’injustice et de misère et de mensonges, que cela ne pouvait durer un jour de plus. Oui ! j’étais sûr, et ils étaient beaucoup comme moi. Nous avions des réunions, voyez-vous, dans une boutique, en cachette, et tous ceux qui venaient là étaient sûrs ; c’étaient des paysans, et des ouvriers, et des étudiants de l’Université, et même leurs professeurs ; et il y en avait parmi eux qui savaient parler de telle manière qu’ils nous faisaient pleurer et crier de colère, à cause de l’injustice et de la méchanceté de ceux qui étaient au pouvoir. Et quand ils disaient comment cela devait forcément finir et que la cause du peuple allait inévitablement triompher parce que la justice et la vérité étaient avec lui ; et comment les temps nouveaux allaient venir, et la tyrannie succomber ; et comment chacun vivrait sa vie librement et sans querelles, il semblait que cela fût si simple et si facile à comprendre qu’il suffirait de le répéter au dehors pour que tout fût changé en une seule fois. Ou bien, ils nous lisaient des livres, et alors c’était plus clair encore : il y avait des phrases qui vous sautaient dans la tête, qui sortaient des pages comme des flammes, comme l’éclair d’une arme jaillit du fourreau ; et même quand ceux d’entre nous qui ne savaient pas si bien parler tenaient à faire des discours, on les comprenait sans écouter les mots qu’ils disaient. C’était comme un hymne dont les cœurs chantaient le refrain : « Liberté... corruption vaincue... assez de misère... Liberté... propagande irrésistible... l’armée avec nous... fin prochaine... Liberté ! »

Le vieillard s’arrêta court et soupira doucement ; puis il se pencha en avant et prit une poignée de clous dans sa main. L’évangéliste, toujours immobile, le regardait en ouvrant des yeux surpris ; dans le silence, le halètement faible de Leah et le craquement du sac de papier sous sa main, annoncèrent que l’appel ne venait pas encore, que les dieux la toléraient un peu plus longtemps.

D’une voix plus basse, toujours se parlant à lui-même, le vieillard reprit :

– C’était la vérité, ça pourtant ; nous étions sûrs, mais ces choses-là n’arrivent jamais comme il faudrait ! Elles viennent trop tôt, avant qu’on soit prêt, et jamais comme on les avait prévues ; certains sont surpris et se taisent, et d’autres agissent trop tôt et vont trop loin. Au dernier moment, on découvre que l’autre parti a peut-être aussi des raisons, tout au moins des excuses que toute la misère ne vient pas du même côté ; et puis, il y eut trop de sang, de sang versé aussi par les nôtres, qui ne semblait pas servir à grand-chose, et nous sommes d’une race qui n’aime pas le sang. Des cris et la fusillade, la réplique des bombes et encore des cris ; les ruisseaux de pétrole en feu charriant la ruine d’une maison à l’autre, nos magasins brûlés ou pillés, et nos jeunes filles hurlant d’horreur aux mains des soldats... Ce soir-là, ma vérité est morte : il s’est passé trop de choses terribles, qui n’étaient pas toutes de la faute des mêmes. Elle est morte. Tant qu’elle a duré, c’était une vérité forte et belle ; mais après cela je n’ai jamais pu la revoir.

Le marteau s’abattit avec un son mat sur le cuir, enfonça un clou, puis un autre, et d’autres encore, et à chaque fois le vieillard hochait la tête et soupirait un peu, comme s’il clouait là le cercueil du rêve glorieux qu’il avait fallu mettre en terre. En silence il rogna, lima, polit le cuir, contempla la besogne terminée d’un air songeur, et posa la chaussure à côté de lui ; puis il en prit une autre et parla de nouveau :

– Cette vérité-là, je ne l’ai jamais revue ; mais quand j’ai quitté Varsovie et que je suis venu ici, j’en ai vu une autre, et celle-là aussi était une vérité réelle, et j’en étais sûr. Il ne s’agissait plus que de travailler dur et d’obéir aux lois, car cette fois j’étais dans un pays libre, où un homme en valait un autre, et il y avait de la justice pour tous, et à chacun sa chance.

« Tout le temps que je travaillais, ma vérité était là avec moi, et elle me répétait que ceci était le royaume de paix qui nous avait été promis, et que si j’étais courageux et patient, j’entrerais dans mon héritage, et une fois de plus j’ai été sûr. Mais celle-là est morte aussi. Elle a mis des années à mourir, en s’effaçant un peu chaque jour. Ma première vérité était morte en un soir, au milieu des cris et du sang versé, et l’autre s’est usée lentement parce que les choses que j’attendais étaient trop longtemps à venir. J’ai travaillé, et travaillé, et attendu, et chaque matin quand je m’installais à mon ouvrage, elle était un peu plus loin de moi, et chaque fois moins certaine et moins claire.

« À présent je suis vieux, et je n’attends plus rien, rien que ce qui doit forcément venir. Mais j’ai sept enfants. Ils prendront leur tour, et peut-être ils trouveront ce que je n’ai pas pu trouver, ils auront plus de chance, ou bien ils verront plus clair. Voyez-vous, on cherche, on cherche de toutes ses forces, aussi longtemps qu’on peut ; mais ceux qui trouvent sont rares, parce que la vie n’est pas assez longue, et c’est pour cela qu’il faut avoir des enfants. Ils essaient à leur tour ; souvent ils ne vont guère plus loin, parce qu’il faut qu’ils recommencent, et alors ce sera pour leurs enfants à eux. Moi j’en ai sept.

L’évangéliste écarquillait ses yeux pâles sur un monde obscur et compliqué. Elle savait qu’elle avait raison ; mais elle sentait aussi qu’il était des choses qu’elle ne pouvait expliquer ni comprendre. Elle secoua la tête et dit simplement :

– Il n’y a de vérité qu’en le Christ !

Et après cela, elle ne trouva plus rien à dire. Elle mit une brochure pieuse sur une caisse, près du vieillard, entre ses outils, traversa la pièce et en posa une autre sur les genoux de Leah, et sortit.

Longtemps encore retentirent sous le plafond bas les bruits du travail ; longtemps brûla la lumière qui annonçait à tous l’existence d’un vieil homme las pour qui l’heure du repos n’était pas encore venue, et chaque fois qu’il s’arrêtait un instant pour redresser son échine cassée ou se frotter les yeux, il se demandait lequel des sept enfants auxquels il avait donné la vie et qui l’avaient quitté, mènerait à bien la lourde tâche, atteindrait la certitude qui lui avait échappé. Serait-ce Benjamin qui était parti pour l’Amérique, où il gagnait beaucoup d’argent ? Serait-ce Lily ou bien Deborah, deux belles filles avisées et prudentes ? Un peu plus tard, il jeta un regard rapide vers le coin d’ombre où Leah s’était assoupie dans le grand fauteuil de cuir, la bouche ouverte mais respirant à peine, monstrueuse et pétrifiée, si peu semblable à une créature vivante qu’il semblait impossible qu’elle pût se réveiller jamais. Peut-être serait-ce celle-là, songea-t-il, qui trouverait le plus tôt la vérité !

Et il se dit que lui aussi, la trouverait bientôt, sans doute, et qu’ainsi sa grande faim serait apaisée.