La fée aux cerises - Conte de Roger Dombre wiki

« Je pars, mon petit ; mais tu seras bien tranquille, tu ne te pencheras point par la fenêtre, si tu veux prendre l'air... Et je te rapporterai quelque chose de bon pour le déjeuner. Que désires-tu ?

Les prunelles de l'enfant malade brillèrent soudain.

« Oh ! mère, des cerises ; cela seulement me ferait plaisir.
- Des cerises ?... Mais, mon chéri..., nous ne sommes pas en juin, et celles que l'on vend viennent encore de loin.
- Alors elles coûtent trop cher pour nous ? soupira Hubert en détournant la tête. Maman, ne m'achète rien, veux-tu ? Je n'ai pas faim, d'ailleurs. »

Hélas ! il n'avait jamais faim, le pauvret.

Cette réflexion de l'enfant, discret et raisonnable, n'empêcha pas la mère une fois dans la rue et frôlant une voiture pleine de primeurs appétissantes de marchander des cerises.

Encore bien pâles, ces premiers fruits de la saison ! mais il pouvait plaire au petit Hubert. Seulement, la vendeuse en réclama un prix si élevé que Mme Berthier s'éloigna tristement, sans pouvoir en acheter.

Ce que gagnait la pauvre veuve, dans sa journée, suffisait à peine à ses deux maigres repas de chaque jour et aux médicaments du malade.

« Que de gens riches sont heureux ! pensait-elle, non sans amertume ; ils peuvent donner à leurs enfants souffrants ce qu'exige leur caprice. Nous, les pauvres, il faut le leur refuser. Hélas ! »

Et elle s'en alla au travail.

Pendant ce temps, une gentille fillette blonde rentrait avec sa bonne, une serviette d'écolier à la main. Toutes deux franchirent le seuil d'une belle maison voisine de celle où habitait Mme Berthier.

Arrivée au deuxième étage, la blondinette courut tout droit à la chambre de sa mère occupée à sa correspondance, et qui dit dans un baiser :

« Chérie, tu trouveras à la cuisine un gros colis que t'envoie ta marraine. Ce sont, je crois, des fruits, car elle est à la campagne, dans le Midi. Ouvre le paquet avec Jenny ; moi, je n'ai pas le temps de t'aider. »

Ravie, Marguerite obéit et entra dans la cuisine où, avec Jenny, elle détacha la ficelle du colis.

Mme Henner, sa maman, ne s'était pas trompée : la corbeille, envoyée par une marraine très bonne, renfermait des cerises superbes.

Une exclamation, partie d'une fenêtre située à l'étage supérieur, en face de la cuisine, lui fit soudain lever la tête. A cette fenêtre, où flottait un pauvre rideau fané et usé, se montrait un pâle visage d'enfant malingre et souffreteux.

Mais ce qui frappa surtout Marguerite, ce fut le regard d'avidité maladive attaché sur les cerises. Un sourire navrant se dessinait sur les lèvres presque blanches, altérées sans doute, brûlées de fièvre du petit garçon, qui, là-haut, joignait les mains, des mains maigres, émaciées ; toute son attitude angoissée, frémissante de désir, semblait dire :

« Oh ! des cerises !... »

Puis, lassé probablement par cet effort, ou bien ne voulant plus regarder ce qui le tentait si fort et qu'il ne pouvait avoir, il se retira de la fenêtre et regagna son petit lit : sa maman ne lui avait-elle pas recommandé, d'ailleurs, de ne pas se pencher au dehors ?

En bas, dans la cuisine où roulaient les beaux fruits vermeils, Marguerite, soudain pensive, questionna sa bonne :

« Jenny, qui est ce petit garçon ?
- Oh ! répondit la servante, en secouant les épaules avec insouciance, c'est le petit Berthier ; un enfant malade qui ne doit guère s'amuser tout seul, pendant que sa maman travaille au dehors.
- Comme il regardait mes cerises !... »

Jenny se mit à rire :

« Je crois bien ; ce n'est pas chez lui qu'on mange de telles primeurs. Ah ! Mademoiselle aura de quoi offrir un joli goûter à ses amies, avec cette belle provision ; ce sera si bon, avec des brioches ! »

Mais Marguerite ne l'écoutait plus, elle réfléchissait.

Soudain, laissant là le colis, elle retourna, légère et bondissante, chez sa mère qui eut, à sa vue, un petit froncement de sourcil :

« Eh bien ! qu'y a-t-il, mignonne ? Je t'avais dit de me laisser écrire. »

La fillette se pencha et, lui entourant le cou de ses jolis bras, elle lui glissa une prière dans l'oreille.

« Mais oui, ma chérie, répondit Mme Henner ; je te permets toujours d'accomplir une action charitable ; seulement, fais-toi accompagner. »

Peu après, Marguerite, suivie de Jenny très étonnée et quelque peu indignée d'une telle prodigalité, grimpait lestement l'escalier noir et raide qui conduisait chez la veuve Berthier.

Au troisième étage, la fillette s'arrêta et, prenant des mains de la bonne la corbeille alourdie par les cerises, elle ordonna :

« Attendez-moi sur le palier, Jenny ; je ne serai pas longue, et maman m'y autorise. »

Sans frapper, elle entra chez le petit malade, dont la porte n'était pas fermée à clé, par prudence. Il sommeillait, étendu sur son lit.

Au frôlement que produisit la robe de Marguerite contre sa couchette, il entr'ouvrit un oeil languissant , mais il rêvait, sans doute, car il murmura faiblement :

« Oh ! quelle joie ! la Fée aux cerises ! la jolie Fée !... Si elle venait m'apporter de ses fruits si doux !... Si elle avait deviné mon envie ! »

Alors, riant, Marguerite entra dans son rêve, et, jouant le rôle de la fée qu'elle représentait, en effet, avec ses boucles blondes répandues sur ses épaules, avec sa robe claire, et surtout avec son fardeau appétissant, elle répondit en versant sur la couverture le contenu de la corbeille :

« Oui, mon petit garçon, je suis la Fée aux cerises, et je te fais don des beaux fruits que tu désires. »

Et, avant que le petit Hubert pût revenir de sa surprise, elle gagna la porte, ses cheveux d'or flottant derrière elle.

Le malade resta persuadé qu'il avait entrevu, très éveillé, une mystérieuse apparition ; et ce fut avec une joie mêlée de respect qu'il commença d'étancher sa soif avec les cerises.