Le revenant de Chantepie - Conte de Adolphe Orain wiki

Il est une promenade que les habitants de Rennes affectionnent tout particulièrement. Elle consiste à aller par la route de Paris jusqu’à Cesson, pour revenir ensuite par le petit bourg de Chantepie, situé sur la route de la Guerche.

Or, lorsqu’on va de Cesson à Chantepie, on rencontre sur le bord du chemin, à gauche, un peu avant d’arriver au château de Cucé, une mare surmontée d’un lavoir en bois, au trois quarts détruit. Cette flaque d’eau, couverte d’une épaisse couche de lentilles, entourée d’arbres et de buissons, présente un gentil paysage qu’un artiste parisien a su habilement reproduire.

Un jour que j’étais assis au bord de cette mare, regardant les rats d’eau courir dans les joncs, je fus interpellé de la manière suivante, par une vieille femme qui filait sa quenouille en gardant sa vache :

— Vous aussi, vous l’avez vue et entendue, sans doute.
— Qui cela, ma bonne femme ?
— La malheureuse qui, chaque nuit, vient ici laver son drap de lit.
— Non ma foi ; mais je serais heureux de connaître son histoire.

Alors la vieille se fit prier, car les paysans n’aiment pas à causer quand on les interroge. Mais je lui parlai d’elle, je la questionnai sur ses enfants, sur ses chagrins, — nous en avons tous, hélas ! — et je revins sur l’histoire de la mare que je finis enfin par lui faire raconter.

— Elle n’est ni longue ni gaie, me dit-elle, ainsi que vous allez en juger :

« Il y avait dans ma jeunesse, au bourg de Chantepie, une vieille avaricieuse qui faisait tant travailler son pauvre homme et le nourrissait si mal que le malheureux mourut à la peine.

« Quand il fallut l’ensevelir, elle le mit elle-même dans le drap usé, troué et sale sur lequel le défunt avait succombé.

L’enterrement fut vite fait, et la vieille rentra chez elle pour se remettre à filer, ne voulant pas perdre de temps. Son unique passion consistait à économiser sur sa mangeaille et ses hardes, quelques pièces de monnaie qu’elle ramassait dans un bas caché dans la paillasse de son lit.

« Un soir, très tard, qu’elle filait à sa fenêtre, au clair de la lune, pour ne pas brûler sa rousine, elle se mit à trembler de tous ses membres en regardant dans le cimetière situé sous sa fenêtre, car vous savez qu’à Chantepie le cimetière entoure l’église, et les maisons entourent le cimetière. Grand Dieu ! ce qu’elle avait sous les yeux était bien propre à l’effrayer : elle vit sortir de terre, à l’endroit où il avait été enterré, son bonhomme enveloppé dans son drap sale et troué et qui se dirigeait vers son ancien gîte.

« Elle n’eut pas la force de bouger, elle était quasiment paralysée. Un bruit de pas se fit entendre sur les marches de l’escalier, la porte s’ouvrit et un squelette s’approcha d’elle, qui se débarrassa de son drap et le lui jeta aux pieds.

« Méchante avaricieuse ! s’écria-t-il, voilà ton drap. Tes journées ne suffiront pas désormais pour le raccommoder, et tes nuits se passeront à le laver dans la mare de Cucé. »

« Cela dit, il s’en retourna dans le cimetière se recoucher dans sa tombe.

« À partir de ce moment, la veuve passa ses journées à boucher les trous du drap qui se déchirait la nuit sous le battoué de la lavandière. Elle mourut un an après, le soir même de l’anniversaire de la visite de son défunt homme ; mais elle revient ici toutes les nuits laver le linceul du mort.

« Les habitants du village de la Ménouriais l’ont entendue bien souvent, et moi aussi, ajouta la vieille en soupirant, et en faisant le signe de la croix. »

(Conté par Marie Bloin, de Chantepie, âgée de 72 ans.)






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