Qui ne connait «Molocoye» dont la carapace dorsale semble faite de morceaux juxtaposés?
Il parait qu’autrefois «le dos» de Molocoye était le plus joli dos du monde: tout d’une pièce, sans un pli, sans une ride!
Da Zamée (toutes les Das savent de belles histoires) m’a raconté à la suite de quelles circonstances, le dos de Molocoye devint ce qu’il est aujourd’hui.
Ecoutez bien:
Il y a de cela, très longtemps, le bon Dieu dit un jour à Saint-Pierre:
«Bon Saint-Pierre, j’aime beaucoup les Oiseaux, qui, dès leur réveil, publient ma gloire par leurs chants mélodieux, et qui, tout le jour, d’un coup d’aile, s’élèvent au dessus des vilaines choses de la terre. Je voudrais leur offrir un beau festin au Paradis. Saint-Pierre, invitez-les.»
« — Qu’il soit fait selon votre volonté, Seigneur, répondit Saint-Pierre; mais, pour quel jour faudra-t-il lancer les invitations?»
« — Oh! Saint-Pierre! lui dit le bon Dieu, oubliez-vous que nous approchons de la Sainte Cécile, fêtes des Musiciens! Et ne savez-vous pas que les Oiseaux sont les meilleurs musiciens de la terre? Invitez-les pour le 22 Novembre.»
Les Oiseaux volent si près du ciel qu’ils n’eurent pas de peine à recueillir les messages de Saint-Pierre; et dire leur joie serait impossible!
L’Araignée, tissant sa toile entre les branches d’un beau manguier, entendit deux merles se dire gaîment la bonne nouvelle. Le soir venu, quand elle descendit du manguier pour faire courir ses pattes agiles sur le sol, elle rencontra Molocoye qui se promenait de son pas… de tortue; et elle n’eut rien de plus pressé, que de lui répéter ce qu’elle avait entendu les merles raconter!
Molocoye sentant le poids de sa carapace, poussa un profond soupir, et fit la remarque qu’il aurait bien voulu avoir des ailes pour participer au festin des Oiseaux.
«Qu’à cela ne tienne, lui dit l’Araignée. Mon fil est très solide, vous vous y accrocherez, et nous suivrons les Oiseaux.
Le jour de la Sainte Cécile arriva…
Sur la terre, de belles messes en musique portaient les fidèles au recueillement, et des aubades profanes se donnaient un peu partout. Si les instruments de musique inventés par l’homme n’avaient fait tant de bruit, on aurait certainement remarqué l’agitation joyeuse des oiseaux…
«Rou-où-où… roucoulait le ramier; Là-là-là… répondait le siffleur de montagne; Si-si-si… approuvait le petit Sisi; Ui-ui-si… répondaient tous les autres. Allègrement, ils s’envolèrent vers le ciel.
Lourdement, Molocoye et l’Araignée se hissèrent à leur suite.
La porte du Paradis était grande ouverte… Molocoye et l’Araignée, éblouis, se demandèrent comment certains humains peuvent s’en détourner volontairement.
Sûr de lui, «Molocoye prit bravement place à côté des oiseaux. L’Araignée, se souvenant d’avoir attrapé plusieurs innocents petits papillons dans ses filets, se réfugia sous la table… mais, que de tentations… le festin embaumait… À maintes reprises, elle dit à Molocoye:
— «Jette m’en un petit morceau… Jette m’en un petit morceau…» Molocoye se régalait en gourmand et en égoïste, faisant la sourde oreille.
Quand il ne resta plus miette du régal, le signal du départ fut donné. Les oiseaux s’envolèrent.
Molocoye se rapprocha de l’Araignée… mais celle-ci de lui dire:
— «Tu m’as ignorée quand j’étais sous la table; à mon tour maintenant de ne pas te connaître. Débrouille-toi tout seul.» Et légère, elle s’élança dans le vide, fabriquant elle-même son parachute de fil.
Avec une affreuse angoisse Molocoye sauta… criant tant qu’il pouvait tout le temps de sa rapide descente:
«Tirez roches; mettez paille!
Tirez roches; mettez paille.»
Personne ne l’entendit…
Quelle chute!... C’est sur le dos que tomba Molocoye… brisant en morceaux épars sa belle carapace…
Il y avait heureusement un bon chirurgien, qui put rassembler les morceaux épars, et les réunir par une habile couture… dont on voit encore la trace formant de légers sillons dans le dos de Molocoye…
Malheureusement, Da Zamée ne se souvenait plus du nom du chirurgien.