La princesse du Tomboso - Conte de Tradition Orale

Une fois, un roi. Le roi avait trois fils.

Avant de mourir, à bout d'âge, le roi leur dit: «Vous irez dans mon écurie; vous trouverez un vieux bol. Secouez-le bol, et ce qui en tombera, ce sera votre héritage.»

Ordinairement, on tient le mort deux fois vingt-quatre heures sur les planches; mais les enfants du roi avaient tant de hâte de secouer le bol qu'au bout de vingt-quatre heures, holà ! le bonhomme.

Le plus vieux prend le bol et le secoue. Tombe une bourse. Ecrit, sur la bourse: «Chaque fois que vous fourrez la main dedans, vous aurez cent écus.» Le prince dit à ses frères : «Ma fortune est faite, moi.»

Le deuxième secoue le bol. Tombe un cornet. Ecrit, sur le cornet : «Soufflez par un bout et vous aurez cent mille hommes à votre service. Soufflez par l'autre 'bout et vous n'aurez plus rien.»

Le troisième, Petit-Jean, secoue le bol. Tomibe une ceinture. Ecrit, sur la ceinture : «Mettez la ceinture sur vous, et ce que vous souhaiterez, vous l'aurez.» Il dit aux autres: «Ma fortune est faite, à moi aussi.»

Ces princes avaient entendu parler d'une (princesse appelée «la princesse du Tomboso,» qui était belle comme un astre. Petit-Jean dit: «Je vas aller voir la princesse du Tomboso.» Ses frères répondent : «Tu vas te faire voler ta ceinture; elle est bien plus fine que toi.»

— Mes frères, ne craignez pas ! J'ai ma ceinture sur moi. Si elle veut me la voler, je me souhaiterai hors du château.

Bien sûr, mon jeune prince se prépare le mieux qu'il peut ; met sa ceinture sur lui ; se souhaite dans la chambre de la princesse du Tomboso. Toute surprise, la princesse jette un cri, disant : «Etes-vous un homme de la terre ou du ciel ?» Lui répond : «Ma princesse, je suis un homme de la terre, qui vient vous voir.»

— Par quel moyen, demande la princesse, êtes-vous tombé dans ma chambre ?
— Cest une bagatelle. J'ai une petite ceinture sur moi. Aussitôt que je me souhaite dans une place, j'y suis; et dans une autre, c'est pareil.
— Ah! dit la princesse, je ne crois pas ça ; c'est impossible !
— Bien, ma princesse, vous allez voir.

Se souhaite dans une autre chambre, disparaît ; se souhaite une deuxième fois dans la chambre de la princesse, reparaît. La princesse dit : «C'est une chose qui est au-dessus de moi. Je ne peux pas le croire. Montrez-moi votre ceinture?»

Prend sa ceinture et la donne à la princesse. En la passant sur elle, la princesse dit : «Je me souhaite avec mon père.» Elle tombe dans la chambre du roi. «Vite, elle dit, Mon père! un scélérat se trouve dans ma chambre, pour me ravir l'honneur.»

Le roi en colère amène ses soldats, monte à la chambre de sa fille, prend mon gars, le sort du château. Les soldats le ruent de coups, de la tête aux pieds. Et quand ils le croient sept fois mort, ils le jettent au bord du chemin.

Petit-Jean est là plusieurs jours, étendu, sans connaissance. Enfin, la connaissance lui revient. Le fou de lui, il est bien peiné. «Retourner voir mes frères, ils vont m'ôter la vie, bien certain !» Mais la faim l'oblige à repartir vers ses frères.

De loin, ceux-ci le voient revenir, la tête basse. Comme il n'a pas l'air trop gaillard, ils sortent à la porte, prennent chacun un bâton et frappent sur la terre, lui faisant comprendre que s'il approche, c'est sa destruction. Mais comme il n'a pas de choix, il s'approche d'eux. Lui faisant bien des reproches, ils le menacent de l'emprisonner dans une tour, pour la fin de sa vie. Un d'eux dit : «Entre dans cette chamfbre. Tu n'en sortiras plus.» Il n'ose pas dire un mot.

Au bout d'un mois, il dit au frère qui avait la bourse : «Si tu voulais me prêter ta bourse, j'irai m'acheter ma ceinture.» Son frère dit, en tempêtant: «Toi, tu as donné ta ceinture à la princesse; mais tu n'iras pas lui donner ma bourse.»

— Tiens, il dit, mon frère, tu vas voir. Je vas aller au château, demander à parler à la princesse. Je lui donnerai des écus et encore des écus, de ta bourse. Elle finira bien par me remettre ma ceinture.»

Son frère répond : «Sur les yeux de ta tête ! si tu vas laisser ma bourse à la princesse, tu perdras la vie.

Prend la bourse et puis part. Arrive au château, demande à parler à la princesse. Entre dans la chamhre de la princesse du Tomboso. Après lui avoir donné le bonjour, il lui demande sa ceinture. «Mais, elle répond, vous n'avez pas de ceinture ici.»

— Ecoutez, ma princesse ; ce n'est pas ça ! Je vas vous donner tant d'écus, un nombre d'écus épouvantable...

La princesse fait: «Ha ! tu n'as pas tant d'écus que ça.» Il finit par dire : «Je remplirai votre chambre d'écus.»

— Ah ! ça prend un Petit-Jean comme toi pour parler de même; mon père n'en aurait seulement pas assez pour couvrir le plancher.
— Mais, dit le prince, ça n'est rien pour moi ! J'ai une bourse, et c'est assez de mettre la main dedans pour en tirer cent écus, cent écus, cent écus. 
— Ah bien, mystère ! fait la princesse.

Quand il voit ça, le prince sort la bourse de sa poche ; de la bourse tire cent écus. Gling, gling, gling! cent écus, sur le plancher; encore cent écus... «Ah ! dit la princesse, je vas vous redonner votre ceinture. Mais laissez-moi donc mettre la main dedans la bourse, pour voir si elle ferait pareil pour moi ?» Donne la bourse à la princesse, qui met la main dedans, se souhaite avec son père. «Vite ! elle dit, mon père, le scélérat, le vilain est encore à ma chambre ; allez !»

On prend mon prince, on le frappe jusqu'à ce qu'on le croit mort sept fois, et on le jette en bas du château, dans la rue. Il est là huit jours, monsieur ! Ses frères se disent : «Il a perdu sa bourse.»

Au bout de huit jours, la connaissance lui revient. Sa première pensée, c'est de retourner chez ses frères. «Ceux-ci, qui sont au guet, le voient arriver tout piteux, tout couvert de boue. Sans attendre qu'il soit rendu, ils lui crient de loin que les cent coups l'attendent. Mais leurs bâtons ne l'empêchent pas d'approcher. «Entre», dit celui qui lui avait donné sa bourse. «Tu n'auras pas de chambre, mais tu vas rester dans la cheminée. Quand on te jettera un os, tu le rongeras; quand on n'en aura pas de reste, tu t'en passeras.»

Petit-Jean est là un mois. Au bout de ce temps, il dit à son frère qui a le cornet : «Si tu voulais me prêter ton cornet, j'irais chercher la bourse et la ceinture.» Son frère répond : «Ne crains pas ! Si tu penses de donner mon cornet comme tu as fait de la bourse et de la ceinture...»

— Tiens ! mon frère, tu vas voir si cela a du bon sens. Je n'irai pas au château; je ne pourrai pas donner le cornet à la princesse. Une fois entré dans la ville, je soufflerai dans le cornet : cent mille hommes à mon service; j'assiégerai la ville et j'aurai la ceinture et la bourse.

Cette fois, ça avait tant de bon sens que son frère lui donne son cornet. Il s'en va à la ville. Une fois passé les portes, souffle dans son cornet; cent mille hommes. «Que voulez-vous, que désirez-vous, maître ?»

— Mes soldats, il faut assiéger la ville.

Le roi s'adonnait bien à passer en carrosse avec sa princesse, près des portes de la ville. Il fut surpris de voir tant d'hommes, je vous en réponds ! Petit-Jean s'avance, dit à la princesse : «Si vous ne me remettez pas mon butin, j'assiège la ville et je vous fais passer au fil de l'épée.»

— Ah, grand Dieu, dit la princesse, sûrement que je vas vous remettre votre butin! Mais dites-moi donc, mon brave général, comment vous avez réuni autant d'hommes à votre service, dans si peu de temps.
— Mais, ma princesse, ce n'est rien pour moi. Je n'ai que la peine de souffler dans mon cornet : cent mille hommes à mon service.

La princesse répond: «Un pouvoir pareil chez un homme est impossible; je ne vous crois pas.»

— Bien, ma princesse, vous allez voir.

Tire son cornet de sa poche, souffle dans un bout, pas un homme; souffle dans l'autre bout, cent mille hommes; souffle dans l'autre bout, plus un homme. La princesse dit: «Arrêtez, monsieur, espérez! Je vas vous donner votre butin.» Détache la ceinture de sur elle; prend la bourse et s'approche pour la remettre avec la ceinture. «Mais, elle dit, vous plairait-il que je souffle dans le cornet, pour voir si c'est pareil quand c'est moi... ?» Prend le cornet, donne à la princesse. Elle souffle dedans; cent mille hommes: «Que voulez-vous, princesse, que désirez-vous?»

— Prenez-moi cet homme, battez-le-moi jusqu'à la mort.

Un homme battu, ce fut Petit-Jean.

Il est là huit jours, à terre, comme mort. Puis la connaissance lui revient. Mais, cette fois, plus moyen de revenir à ses frères : c'est fini, il faut se résoudre à mourir.

Tout près de là, il y avait un petit bois; près du bois, un marais, «Ah ! il dit, je vas toujours aller me traîner dans ce bois-là, pour mourir.» Au bord du marais, il aperçoit un pommier si chargé de pommes que les branches en craquent. Près du pommier, un prunier qui plie sous les prunes. Il pense : «Avant de mourir, je vas toujours bien manger des pommes et des prunes à mon soûl.» Monte dans le pommier, mange des pommes.

Voulant descendre du pommier, il s'aperçoit que le nez lui traîne à terre. «Tonnerre ! il dit, c'est de mourir avec un gros nez.» Tombe à terre, sur son nez. A force de donner des coups d'un côté et de l'autre, il vient à bout de se traîner vers le prunier. Mange des prunes.

Après avoir mangé, il se sent, dans la figure, le plus beau nez qu'on ait jamais vu. «Tiens! il dit en lui-même, voilà une bonne affaire. Mange des pommes, le nez pousse; mange des prunes, le nez rappetisse.» Le lendemain matin, il se tresse un panier avec du jonc de marais. Le panier fait, il l'emplit de pommes et de prunes; s'en va sur le marché de la ville.

Passe par là un domestique de la princesse du Tomboso; aperçoit les pommes et des prunes nouvelles. Il court dire à la princesse : «Il y a des belles pommes et des belles prunes nouvelles d'arrivées.» La princesse lui ordonne de lui en apporter.

Assise dans un beau fauteuil, vous n'en doutez pas, elle mange plusieurs pommes. Se levant, elle se pile sur le nez ; pan, à bas ! Tout de suite, elle se jette sur son lit, la face en bas, dans l'horreur. On s'en va avertir le père, le roi. «Vite, au médecin !»

Médecin arrive, prend la princesse, lui touche au poulx. Il dit: «Ça n'est pas une maladie dangereuse; il n'y a pas de fièvre. Regardez-moi que je vous voie en face.» Diable ! la princesse ne veut pas, elle crie : «Ça n'est pas un bon docteur ; un autre !»

Petit-Jean était resté près du château pour voir ce qui s'y passe ; il voit sortir le médecin; lui emprunte son bonnet carré, ses habits noirs, son sac à médecine. Habillé en docteur, il s'en va offrir ses services au roi, pour la maladie de sa princesse.

On le conduit au lit de la princesse. Là, il fait à peu près comme l'autre. Comme elle a toujours le visage en bas, dans son lit, il dit: «Princesse, regardez-tmoi, que je vous voie la langue...» Mais c'est qu'elle ne veut pas. La prenant par les épaules, il la vire la face en l'air. «Ah ! princesse, vous avez un mâle nez... Ne vous découragez pas. Je cours chez mon apothicaire et je vas revenir pour vous faire disparaître ce nez-là.»

S'en va au marais, ramasse des pommes et des prunes et retourne au château. Prend quatre ou cinq prunes, fait manger à la princesse. Voilà la princesse avec le nez tout raccourci. Fait manger quatre ou cinq pommes. Pan ! le nez tombe en bas du lit. Il dit : «Ma princesse, vous avez des choses qui ne vous appartiennent pas. Donnez-moi-les, parce qu'elles enlèvent toute la puissance de mon remède; autrement je ne pourrais pas vous guérir.»

— Ah! elle dit, monsieur, j'ai une petite ceinture ici, qui consiste en rien.»
— Donnez-moi-la, princesse ! Quand vous serez guérie, je vous la remettrai.

Il en fait autant pour la bourse. Fait manger.

Quand il a les trois articles, Petit-Jean fait manger des pommes et des prunes à la princesse jusqu'à ce que son nez soit juste un pied de long — c'est encore un beau nez; regardez mes deux mains. Il dit: «Regardez-moi, princesse du Tomboso; je suis celui que vous avez si maltraité. Vous m'avez volé tout mon lutin. Je vous laisse avec un pied de nez. On ne vous appellera plus la princesse du Tomboso, mais la Princesse d'un Pied-de-nez.»

Et moi, je suis parti pour venir vous le raconter ici, ce soir.