La Dame du château aux quatre piliers d'or - Conte de Adolphe Orain wiki

I

Il y avait une fois un pauvre homme qui avait autant d’enfants qu’il y a de trous dans un crible, et sa femme, encore enceinte, lui en promettait, sans doute, beaucoup d’autres.

Comme il était dans une misère extrême, il se demandait s’il trouverait un parrain et une marraine pour nommer son prochain enfant, et quelqu’un pour sonner les cloches le jour du baptême. Le malheureux se lamentait, lorsqu’il rencontra une belle dame qui lui demanda la cause de son chagrin.

— Hélas, dit-il, j’ai eu tant d’enfants que je ne sais plus à qui m’adresser pour trouver un parrain et une marraine pour nommer le nouvel être que ma femme doit bientôt mettre au monde, et quelqu’un qui consente à sonner les cloches à son baptême.
— Rassurez-vous, brave homme, répondit-elle, je serai la marraine de cet enfant auquel il ne manquera rien. Lorsqu’il sera né vous demanderez la demeure de la dame du château aux quatre piliers d’or, et vous viendrez me prévenir de l’événement.

Le bonhomme satisfait, s’en retourna chez lui et apprit à sa femme la rencontre qu’il venait de faire. Celle-ci fut ravie à son tour, et ne tarda pas à donner le jour à un garçon.

Le père s’enquit de la demeure de la dame du château aux quatre piliers d’or, et on la lui indiqua.

C’était un palais, une merveille que la résidence de cette grande dame qui se rendit aussitôt à l’église pour tenir son filleul sur les font baptismaux. En voyant une aussi belle et aussi riche personne, c’est à qui voulut être parrain du nouveau-né. La cérémonie terminée, la dame demanda au sonneur de cloches ce qu’elle lui devait.

— Ce que vous voudrez, madame.

Connaissant son avarice, elle lui donna deux sous, au grand désappointement de l’homme qui avait d’abord refusé de prêter son concours. L’enfant avait reçu le prénom de Jean. Sa marraine dit aux parents : « Gardez près de vous votre fils, soignez-le bien jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de sept ans, époque à laquelle je me chargerai de son éducation. »

Ces recommandations furent exécutées et quand petit Jean — c’est ainsi qu’on l’appelait — eut sept ans, sa marraine vint le chercher, et l’emmena dans son château.

II

Lorsque le jeune garçon fut habitué à son nouveau genre de vie, sa marraine lui dit : « Te voilà presque devenu un homme, et il est temps que je sache quelle confiance je puis avoir en toi : voici sept clefs, ouvrant sept armoires, lesquelles renferment des objets rares. Dans six d’entre elles tu pourras prendre ce qui te fera plaisir ; mais, quant à la septième, qui s’ouvre avec la plus petite des clefs, tu n’y toucheras pas ou tu aurais à t’en repentir. »

Jean s’empressa d’aller visiter les six armoires qu’il pouvait ouvrir, et fut ébloui des des superbes choses qu’elles renfermaient.

« La septième armoire, pensait-il, doit contenir des merveilles. Pourquoi m’empêche-t-on de l’ouvrir ? »

Pendant plusieurs jours, il se contenta d’examiner en détail le contenu des six armoires mises sa disposition ; mais, bientôt, succombant à la tentation, il saisit la plus petite des clefs, et ouvrit la septième.

Aussitôt une bague en argent — le seul objet qui se trouvait dans cette armoire — vint se placer d’elle-même au petit doigt de Jean, qui chercha à l’ôter sans pouvoir y réussir.

Il se rendit à la cuisine, et pria une servante de l’aider à s’en débarrasser. Celle ci n’y parvint pas davantage. « Je ne vois qu’un moyen, dit-elle, c’est de vous entourer le doigt d’un linge pour dissimuler la bague, et de dire à votre marraine que vous vous êtes blessé. »

Lorsque cette dernière aperçut le linge, enveloppant le petit doigt de son filleul, elle lui demanda ce qu’il avait.

— Presque rien, répondit-il, une simple écorchure.
— Tu ne dis pas la vérité. Ôte ce linge qui cache la bague que tu as au doigt.

Jean, tout en pleurs, avoua sa faute, et supplia sa marraine de lui pardonner.

— Pour cette fois, j’y consens ; mais ne recommence pas.

III

Une année s’écoula sans qu’aucun incident sérieux ne vint altérer la bonne harmonie qui existait entre la marraine et le filleul.

La dame du château aux quatre pilier d’or annonça, un jour, qu’elle allait partir en voyage. Elle remit à Jean sept autres clefs qui ouvraient les écuries. « Tu pourras, lui dit-elle, monter tous les chevaux qui se trouvent dans six de ces écuries. Quant à la septième, s’ouvrant avec la plus petite clef, et qui renferme la jument dont je me sers, je te défends d’y entrer. Si, cette fois, tu me désobéis, je ne te pardonnerai pas, et te punirai sévèrement. »

Jean promit de se conformer aux recommandations de sa marraine.

Lorsque celle-ci fut partie, il choisit, chaque matin, pour aller se promener, l’une des bêtes qui lui plaisait le mieux.

Malgré sa joie, souvent il se disait : « Qu’elle doit être superbe la jument de ma marraine, et que j’aimerais à la voir. Non, non, n’y pensons pas. » Et cependant il y songeait sans cesse.

Après avoir longtemps résisté, la curiosité devint une obsession plus forte que sa volonté, et il pénétra dans la septième écurie.

Une jument noire, sans pareille, s’y trouvait. Elle fit au jeune garçon toutes sortes de caresses et sembla l’inviter à la monter.

Comme elle était sellée et bridée, il sauta dessus et partit, au galop, faire un tour dans le parc du château.

Soudain, la bête s’arrêta et lui dit : « Malheureux garçon si j’exécutais les ordres de la fée ta marraine — car elle est fée, tu l’ignorais sans doute — je te briserais la tête en te lançant contre un tronc d’arbre. Je ne le fais pas parce que j’ai pitié de ton jeune âge. La colère de la fée sera terrible, si elle nous retrouve ici. Crois-moi, fuyons au plus vite, car elle sait déjà, à l’heure qu’il est, que nous avons enfreint ses ordres. »

— Partons, répondit Jean.
— Retournons d’abord à l’écurie, pour que tu prennes mon étrille et ma brosse, dont nous aurons peut-être malheureusement besoin.

Jean s’empressa de faire ce que lui recommandait la jument, et après cela, celle-ci partit au galop, dévorant l’espace, comme si elle était poursuivie par un loup.

Bientôt, en effet, elle se mit trembler et dit à son cavalier :

— Regarde derrière toi, si tu n’aperçois rien ?

Jean détourna la tête et poussa un cri d’effroi.

— Ma marraine nous poursuit, et gagne de vitesse sur nous, que faire ? que faire ?
— Jette l’étrille dans sa direction.

Immédiatement des arbres sortirent de terre, formant une forêt remplie de ronces et de lianes infranchissables, qui obligèrent la fée à en faire le tour.

Pendant ce temps-là, la jument continua sa course échevelée sans se reposer un seul instant.

Tout à coup, elle se mit encore à frémir de tous ses membres, et reprit :

— Regarde derrière toi, si tu n’aperçois rien ?
— La voici, la voici, s’écria Jean.
— Jette la brosse bien vite.

Aussitôt un bruit effroyable se fit entendre, et une montagne, s’élevant à une hauteur prodigieuse, sépara la fée des voyageurs.

Ceux-ci ne tardèrent pas à faire leur entrée dans la capitale d’un royaume, où ils n’avaient plus à craindre leur ennemie.

IV

— Comment allons-nous vivre ? demanda Jean à la jument noire. Nous sommes partis si précipitamment que j’ai oublié ma bourse.
— Enlève les fers qui sont sous mes pieds et qui sont en or. Tu iras les vendre, et le prix que tu en obtiendras suffira à nos besoins pendant longtemps.

Jean trouva un orfèvre qui ne le vola pas trop, et ils purent ainsi, lui et sa bête, vivre tranquillement sans se préoccuper de l’avenir.

Dans une de leurs promenades, la jument fit remarquer à son cavalier qu’il ne pouvait rester à rien faire, que l’ennui s’emparerait de lui, « Tu as reçu de l’instruction, ajouta-t-elle, tu es bien de ta personne, il faut aller offrir tes services au roi. »

Jean sollicita une audience du souverain qu’il eut le bonheur de charmer par son savoir et sa bonne mine ; aussi fut-il admis, sur-le-champ, dans le personnel du palais.

Grande fut un jour sa surprise, en apercevant sa marraine en grande conversation avec le roi, et en apprenant qu’ils étaient fiancés et sur le point de se marier. Son effroi fut plus grand encore, lorsque son maître l’appela pour le présenter à sa future.

Celle-ci sembla ne pas le reconnaître, et répondit au roi qui insistait pour qu’elle fixât promptement la date de leur mariage :

— La noce aura lieu, lorsque votre serviteur, ici présent, aura fait venir mon château aux quatre piliers d’or, près de votre palais.

Le souverain, bien que surpris d’une pareille idée , ordonna néanmoins à Jean d’exécuter, sans retard, ce qu’il venait d’entendre.

Le pauvre garçon s’inclina, en pâlissant, et alla conter son embarras à sa fidèle jument, qui le consola, et lui dit :

— Rends-toi immédiatement au château. Dis aux quatre domestiques qui en ont la garde, et que tu connais, que ta maîtresse t’a pardonné, que tu reviens au milieu d’eux. Sous prétexte de fêter ton retour, emmène-les au cabaret, et tâche de les enivrer afin d’arriver à connaître comment on peut faire changer de place le château.

Jean exécuta, de point en point, les conseils de la jument, et après force rasades il apprit des domestiques, que chacun d’eux avait la garde d’un pilier d’or qui reposait sur une roue, et qu’il suffisait de les mettre en mouvement, tous les quatre en même temps, pour diriger le château où l’on voulait le conduire.

Jean manifesta, avec intention, des doutes sur la possibilité de déplacer un édifice aussi considérable. Les buveurs, entêtés comme des hommes pris de boisson, proposèrent de lui prouver qu’ils avaient raison.

Lorsque le filleul de la fée fut suffisamment renseigné, il ramena les gardiens au cabaret, leur offrit de nouveau à boire, et les mit hors d’état de s’opposer à son dessein.

Profitant donc de leur ivresse, il retourna au château, se fit aider par des valets subalternes auxquels il dit qu’il agissait d’après les ordres de sa marraine, et conduisit le château aux quatre piliers d’or, près du palais du souverain.

V

Le lendemain matin, en se réveillant, le roi fut agréablement surpris d’apercevoir le château de sa fiancée. Il la fit prévenir aussitôt de l’heureuse nouvelle, la suppliant de fixer la date de leur mariage.

— Ce jour sera fixé, répondit-elle, lorsque vous aurez fait trancher la tête de petit Jean qui m’a désobéi deux fois.

Heureusement que ce dernier avait entendu la conversation qui venait d’avoir lieu entre le roi et sa fiancée. Il alla bien vite trouver la jument noire, pour lui raconter ce dont il était menacé.

— Rassure-toi, lui dit-elle, ce ne sera pas toi, mais ta marraine qui aura la tête tranchée. Cette méchante fée, afin d’épouser mon père, a fait mourir un jeune prince mon fiancé, et moi, m’a changée en bête. Heureusement l’époque de ma métamorphose vient d’expirer, et le roi saura de quels forfaits est capable, celle dont il veut faire une reine.

Soudain les ténèbres les enveloppèrent et, bientôt, avec le retour du soleil, à la place de la jument, apparut aux yeux éblouis du jeune homme une ravissante jeune fille. Elle tendit la main à Jean, en lui disant : « Conduis-moi près de mon père auquel je vais raconter les infamies de sa fiancée. »

Lorsque le roi revit celle qu’il avait tant pleurée, et qu’il croyait à jamais perdue, il la pressa sur son cœur, et écouta, en versant des larmes de rage, le récit de sa chère enfant.

Il fit arrêter la dame du château aux quatre piliers d’or, et ordonna qu’on lui tranchât immédiatement la tête. Jean resta au palais, devint le favori du roi, et épousa bientôt la princesse.

(Conté par Marie Patard, de Bruz, âgée de 20 ans.)






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