Pendant le mois d’août la chaleur est accablante, et les mouches, dans les maisons où il y a des étables, sont agaçantes et ne vous laissent pas un instant de repos. Elles bourdonnent sans cesse autour de vous, et vous lardent, non seulement les mains et la figure, mais encore les jambes à travers l’étoffe claire des pantalons.
Aussi un petit couturier, appelé Rudecônes, qui était en journée dans une ferme, souffrait tellement de la méchanceté de ces maudits moucherons, qu’il s’en alla travailler sous un prunier dans le courtil.
Les prunes étaient mûres, et ceux de ces fruits qui tombaient à la portée de la main du tailleur, il les mangeait gloutonnement pour calmer la soif qui le dévorait.
Craignant cependant d’être malade en en mangeant trop, il finit par jurer : « Que le diable m’emporte si j’en mange encore ! »
Au même instant une belle prune lui tomba sur l’épaule, elle était si appétissante qu’elle disparut dans son goulet.
« Cette fois c’est fini, s’écria-t-il, que le diable m’emporte si j’en mange une autre. »
Un fruit, encore plus luisant et plus beau que le précédent, vint choir entre ses jambes, et le tenta tellement qu’il l’envoya rejoindre son camarade.
Soudain, entendant du bruit derrière lui, le tailleur tourna la tête et vit le diable qui s’avançait en lui montrant un sac dans lequel il lui faisait signe d’entrer.
Rudecônes fit semblant de ne pas comprendre, mais Satan le saisit par une oreille, en disant : « Compère, tu m’appartiens, n’as-tu pas juré que le diable m’emporte, si je mange une prune, et tu en as mangé deux. »
Malgré les cris et la résistance du pauvre homme, le diable le fourra dans son sac qu’il chargea sur ses épaules.
En passant à travers une pâture, Satan se rappela qu’il avait affaire à une noce, et déposa son fardeau sous une touffe de genêt, avec l’intention de venir le reprendre.
Un pâtou amena ses bêtes dans le champ, et trouva la pochée. Il donna un coup de pied dedans et entendit un grognement.
— Qui donc est là ? demanda-t-il.
— Je suis le couturier Rudecônes, que le diable a enfermé dans un sac. Délivre-moi, je t’en prie.
— Que me donneras-tu pour cela ?
— Je te coudrai gratis tous tes pouillements, et je te raccommoderai tes hannes tant que je vivrai.
— À cette condition je veux bien. Jure-le.
— Je le jure.
Et le pâtou délia le sac, d’où le couturier sortit plus vite qu’il n’y était entré.
— Si tu veux, reprit le paysan, nous allons jouer un tour au diable ?
— Comment cela ?
— J’ai un bouc, tellement méchant, que mon maître veut s’en défaire. On va, pour le punir, lui faire prendre ta place, et l’envoyer en enfer.
— Bonne idée.
Ils saisirent la bête par les côrnes et la mirent dans le sac.
À la brune, Satan revint chercher son prisonnier, jeta le sac sur ses épaules, et s’en alla dans son royaume.
Une fois arrivé en enfer, le bouc fut mis en liberté ; mais comme la terre lui brûlait les pieds, il fit des sauts désordonnés et blessa quatre petits diablotins qui jouaient à la Marelle aux pois.
— Que nous as-tu apporté là ? crièrent les autres diables.
— Mais c’est un tailleur qui, je le vois bien, s’est changé en bouc.
— Mets-le vite dehors, et ne ramène plus de tailleur ici.
Le bouc fut chassé de l’enfer, et c’est à partir de ce moment que les tailleurs, ne pouvant plus aller en enfer, sont quelquefois admis dans le paradis.
(Conté par le père Constant Tual, tailleur à Bain, âgé de 72 ans.)