Le joueur de flûte - Conte de Robert Browning wiki

Il y a au moins cinq cents ans, la ville de Hameln fut envahie par une multitude de rats. Les rats luttaient contre les chiens, tuaient les chats, mordaient les bébés dans leurs berceaux, léchaient la soupe dans la louche même du cuisinier et défonçaient les barils de poissons séchés, avec des cris perçants et aigus. Tout, absolument tout, était dévoré !

Les habitants de la ville, tremblants de peur, n'osaient plus dormir et craignaient de mourir de faim.

Afin d'aviser aux mesures à prendre, le bourgmestre réunit les échevins à l'hôtel de ville. On chercha longtemps le moyen de se débarrasser de ce fléau, mais on ne trouvait rien de satisfaisant.

On entendit alors frapper à la porte de la salle tout doucement. Et voici qu'entre un personnage étrange au teint basané, aux yeux bleus perçants comme des aiguilles, la bouche immense où passaient quand ils parlait d'effrayants sourires. Il était vêtu selon l'ancienne mode d'un habit singulier, mi-jaune, mi-rouge.

« Excusez mes seigneurs ! dit-il en s'avançant, je puis débarrasser votre ville des rats qui l'infestent si vous voulez promettre de me donner mille florins ?
- Mille florins ? Non, cinquante mille ! » tel fut le cri unanime du conseil des échevins.

L'homme descendit alors sur la place, et, tirant une flûte de roseau d'un petit sac en cuir qui pendait à sa ceinture, il la porta à ses lèvres. A peine avait-il commencé à jouer un air aux sons bizarres qu'on vit sortir de toutes les maisons, de toutes les caves, de tous les greniers, de tous les trous, des rats à flots, qui débouchaient de toutes les rues et qui formèrent en un instant, un immense troupeau grouillant.

De rue en rue, le joueur de flûte allait, jouant, et les rats, pas à pas, le suivaient en se pressant et se bousculant. Il les conduisit au fleuve Weser où tous plongèrent et périrent noyés. Il n'en restait plus un seul dans le ville de Hameln.

L'homme se présenta alors à l'hôtel de ville pour toucher la récompense promise. Les échevins qui n'avaient plus rien à craindre ni des rats, ni du joueur de flûte, refusèrent de payer, et même se moquèrent de lui.

L'étranger insista pour que la promesse qui lui avait été faite fût honnêtement tenue. On le mit à la porte en l'appelant le beau preneur de rats. Il descendit de nouveau sur la place et de nouveau il porta à ses lèvres sa flûte de roseau. A peine avait-il joué trois notes si douces que jamais musicien n'en avait fait entendre d'aussi suaves, que tous les enfants de la ville arrivèrent en courant avec des cris et des rires joyeux derrière le mystérieux personnage.

Le bourgmestre et son conseil se portèrent aussitôt sur la grand'rue qui mène au Weser, mais le joueur de flûte tourna brusquement vers la montagne.

Quand il fut au pied des grands rochers, on vit s'ouvrir devant lui, un portail merveilleux comme si une caverne se creusait soudain. Le flûtiste y pénétra, les enfants suivirent. On entendit encore quelque temps le son de la flûte, mais il diminua peu à peu et bientôt on n'entendit plus rien.

Et quand tous les enfants furent entrés, la porte de la montagne se ferma pour toujours.